Nous irons à la plage. Nous allongerons nos corps albumineux sur cette épaisse poussière jaunâtre dont les enfants font des châteaux éphémères et les adultes un cendrier. Ce sera bien. Les ultraviolets ardemment souhaités du soleil destructeur cuiront nos cellules épithéliales, et, tant que le cancer restera loin, nous serons heureux.
Il y aura beaucoup d'animaux de notre espèce, certains viendront même se coller à ma serviette. En vrac, il y aura le vendeur de chouchoux au chant caractéristique, la voisine callipyge, la cruciverbiste aux seins que je ne saurais voir sans regretter une plus stricte législation sur la nudité des pas-beaux, les play-boys abdominaux qui jouent aux raquettes de plage pour mieux aller chercher la balle perdue entre les cuisses d'une belle assoupie, et surtout, les gosses des autres, pires fléaux de l'humanité en vacances.
Nous nous pencherons sur les animaux non-humanoïdes, pour la raison que peu de singes vont sur la Côte d'Azur. Les poissons sont trop cons pour présenter un autre interêt que celui de tirer la langue sous l'eau, nous n'en parlerons donc pas. Il en va tout autrement des méduses et des poulpes, qui sont bien trop dépreciés à mon goût.
La méduse effraie par son vol sous-marin trop majestueux, elle semble sans consistance, filandreuse, et à elle seule peut persuader tout un parterre de vacanciers de griller sur le sable plutôt de profiter de la mer. Son pouvoir est grand. En bande, elle est plus anxyogène qu'une réforme globale des retraites. Si la méduse est splendide de nonchalance feinte lorsqu'elle ondoie au fil de l'eau, il faut reconnaitre qu'une fois crevée sur la plage elle perd toute dignité. On croirait un sac Hermès piétiné par un troupeau d'éléphants. Exceptionnellement, une méduse échouée parvient à regagner le large à l'aide d'un frêle esquif, l'histoire nous est contée en peinture par Géricault.
Mais laissons les méduses s'amuser avec les enfants, et passons au poulpe et à la pieuvre, ce qui est la même chose, à part au restaurant où jamais on ne vous proposera de pieuvre. La pieuvre est hypra-classe. Elle possède un bec tranchant, huit tentacules intelligents et en plus de son encre noire bien connue, est irriguée par un sang bleu qui échappa à la vigilance des révolutionnaires français.
J'ai envie de décrire l'acte de copulation des poulpes, acte qui peut s'étaler sur plusieurs heures. Pour faire court, je passerai sur la longue séduction préliminaire des pieuvres qui s'écrivent des lettres d'amour bouleversantes. Nous iront droit au but. Le penis de cet invertébré étant interne (preuve de sa grande pudeur), il se sert d'un tentacule modifié, nommé bêtement hectototyle, pour garnir la cavité palléale de sa femelle des précieux spermatophores. Elle s'occupe ensuite des petits polypes et crève comme une conne. Le mâle est libre de recommencer ses saloperies avec d'autres garces insouciantes.
La pieuvre fait un excellent monstre dans les romans, de Scylla à Vingt Mille Lieues sous les mers, elle a tout du mythe réél. Il en existe probablement des individus de plus de trente mètres; mais les observations étant difficiles dans les grandes profondeurs, le mystère demeure. Un peu comme les krakens, ces calmars géants qui furent légendes jusqu'à leur découverte reconnue au XIXè siècle. Mais si vous revenez de la Méditerranée en prétendant en avoir vu un, c'est que vous étiez à Marseille.