On était tous en train de crever. La vie nous griffait la gueule, le whisky et la bière gonflaient notre estomac poreux et les rues d'Avignon étaient envahies de poètes, d'acteurs, de sylphides parisiennes descendue en glissant sur leur mouille (enfin, nous on voyait ça comme ça). Juillet grinçait des dents en soufflant son haleine d'explosion solaire. Tous les matins, moins de tête, plus de coeur bouffi, de foie flétri.
Moi je croulais sous des poèmes douteux, Desdichado était amoureux et donc bientôt mort, bien que traversé de quelques éclairs verbeux pas si mauvais.
Je crois que je me transformais en femme avec des ovaires trop bas.
Un bar pourri. De la musique insupportable. Une belle salope brune assise en attente, jambes croisées haut, robe noire décolletée. Très jeune.
Je lui prends la main:
-"Viens danser.
-"J'aime pas cette musique.
-"On s'en branle, moi non plus j'aime pas, c'est pour danser avec toi."
Elle me dévisage cette garce. Deux pointes noires cerclées à percer la braguette de tous les mecs présents.
-"T'es pas homo, toi?"
Ma chemise bleue était entièrement ouverte sur un torse dont je pouvais être fier quelques temps encore, mais vraiment peu de temps, au rythme où j'éclusais. Fallait faire vite.
-"C'est pas la question, si je suis pédé, tu seras peut-être ma première femme.
-"J'aime pas cette musique, plus tard."
Elle retire sa main.
L'alcool aide pas à aller draguer: l'alcool aide à essuyer les refus avec indolence. L'alcool et le ridicule font bon ménage.
J'ai eu envie de lui dire que ce qu'elle prenait pour un pédé était sûrement le meilleur coup disponible à cette heure au bar, lui dire ça dans une phrase claire concise et brillante. A la place de ça, un sourire BEURK. Petite pute brune dansera, petite pute brune ne dansera pas avec moi qui ne suis pas pédé, qui suis un super coup qui ne correspond pas à ses critères, et qui n'a pas su lui faire entrevoir que son petit cerveau animal se trompe quant aux critères de sélection sexuelle. Ah... fut un temps... je lui serais rentré dedans vaille que vaille, dans ses yeux cerclés de noir luisant, dans son décolleté, entre ses deux seins un peu petits mais fermes et roses en leur centre. Et la musique pourrie aurait été un drap de satin cuisant pour envelopper son corps de petite pute brune échaudée et attendrie. Clodo regarde tartelette derrière vitrine blindée.
Pourquoi je fais ça? Je jure que je sais même pas. Partager un peu de solitude.
Bien sûr qu'elle est pourrie cette musique, c'est Jesépakoi, leur dernier tube à peine plus savoureux qu'un dentifrice à se badigeonner le pourtour de l'anus. Bien sûr que je veux du Chopin! Du Nina! "I ain't got no"!!
"I ain't got no home, ain't got no shoes
Ain't got no money, Ain't got no class
Ain't got no skirts, Ain't got no sweater
Ain't got no perfume Ain't got no bed
Ain't got no mind..."
Je suis un nègre réduit à l'esclavage moi, avec ça. La plus belle version est aussi la plus courte, 2mn10, en concert, je sais plus lequel. Là, elle chante SA RACE. Nina, bien sûr. Plus d'esclavage à la fin de la chanson, elle est libre Nina, les nègres sont libres, et à poil, sans rien, avec la vie, la vie salope assise sur un tabouret, jambes croisées haut et qui te dévisage de haut en bas et qui te dit que t'es un pédé de nègre libre avec rien. Même pas de poils: je suis imberbe comme la tour Montparnasse.
Ca doit se voir que j'écoute trop Nina et que je chiale, et que j'ai plus rien. Peut-être que j'ai même plus de queue, allez savoir, deux jours que je l'ai pas sortie. Une éternité.
Une autre éternité passe, petite salope brune sur son tabouret, ses yeux changent de secteur, je tourne la tête. Le reste suit. C'est encore bien trop tôt pour retourner au tombeau de ma solitude qui confine à la folie. La folie. Pas chercher le sens de la vie, non. Je laisse ça aux vrais fous. Juste lui donner une consistance à cette salope de vie si belle, si pleine, si brune, si décolletée. Plonger sa main dans la corbeille de fruits.
Pour l'heure, c'est des cacahuètes au bar, maculées d'urine de dix mille mecs qui ont jamais vu pousser une fleur. Y a des reflets jolis sur le zinc. Des irisations qui galopent sur le comptoir.
"Jadis, si je me souviens bien..." Ta gueule ARTHUR, TA GUEULE! Laisse-moi tranquille! Retourne vendre aux Africains des armes pour s'entretuer, moi merci, j'ai tout c'qui m'faut.
Une Arabe très jolie me sourit, j'y vais. Elle me raconte sa vie. REVIENS ARTHUR, FILE MOI UN FLINGUE JE VEUX LA BUTER!
Si la beauté était assise sur mes genoux, je lui demanderais ce qu'elle fiche là.
-"Tu vois, lui, c'est mon frère, il veille sur moi, c'est ça la famille."
Elle me désigne un gros con avec une tronche à tuer net un tournesol.
-"Attention mec, c'est ma frangine. Déjà referme ta chemise".
Je peux pas vomir jusqu'à lui, il est à plus d'un mètre. Juste je le fixe en bombant un peu le torse histoire que les pans de ma chemises s'écartent encore plus.
-"Quand je viens ici avec des copines, tu vois, des jeunettes de vingt ans qui se déhanchent comme des putes, c'est moi qui les surveille...
Petite Salope Brune a trouvé un grand, moche, avec une chemise blanche FERMEE, et lui, c'est de la bonne musique. Dans cinq minutes ils se galochent.
Au bout de mon bras, un verre de bière, au fond de la bière, l'infini.
Je vais fumer, quand je reviens, je repasse derrière l'Arabe saoûlante et son "frangin" juste à côté.
CLAC!
Frangin vient de coller une gifle à un autre gros aussi vilain que lui.
-"Maintenant tu DEGAGES!"
Je regarde. Non, il a pas la chemise ouverte. Tiens, c'est pas passé loin pour ma pomme. Une clope m'a sauvé. A écrire sur les paquets ça:
"Fumer tue, mais parfois ça peut vous éviter une baigne."
Ca me laisse songeur.
Fuis petit poète taré, fuis. Trouve le courage de ta barrer.
Un message me donne le courage. Sur mon smartphone Vivaz très con qui fonctionne quand ça lui pète (tactile de merde), une copine chez elle avec du monde -des musiciens, des atermoiemondialistes- m'invite reboire et reboire des verres.
Tout sali, rempli de solitude, tenant par la main des anges muets et calculateurs je me choisis des rues minuscules et mal éclairées, pour ne croiser personne.
-"Oh Ben! Salut!"
Grande belle nana embrassée une nuit que des moustiques nous bouffaient la chair, sous des lampadaires au bord du Rhône.
-"Comment tu vas? ça te va super bien les cheveux courts!
-"Je vais diablement bien, comme toujours. Ah, tu trouves? ça fait pas un peu pédé?
-"Pédé?"
Elle éclate de rire, dents blanches, beauté écarlate tendue sur les cuisses du goudron.
-"Pédé? non pas du tout, pourquoi tu dis ça?
-"Pour rien. Je dois te laisser, on m'attend... je t'écris bientôt.
-"A bientôt"
Tout autour, dans les vraies rues, celles que les gens normaux n'esquivent pas, gronde le Festival d'Avignon, qui a commencé aujourd'hui. Pour moi c'est festival de façades sombres et de flaques de pisse qui ombrent mes pas. Petit drame avance dans l'urine des autres.
-"VENGA VENGA VENGA!!!!!"
Une paire de jambes nues jusqu'aux mollets, droit devant, par terre, qui dépassent d'un porche dans la ruelle nommée solitude violée. Des jambes toutes fines, claires, ça pourrait même être des guiboles de gonzesse. Ca sent la tragédie.
-"VENGA VENGA VENGA!!!!!"
Et BOM BOM BOM.
-"VENGA VENGA VENGA!!!!!"
Et BOM BOM BOM.
J'arrive à son niveau. C'est une descente de croix. Un rebeu, pantalon baissé, bras lâchés de chaque côté de son corps à demi affalé contre une porte bleue, bleue comme on s'imagine la porte du Paradis. Un oeil tourne vers moi. Un oeil, un seul. Tout le reste totalement immobile. Ses lèvres pensent remuer, mais finalement non. A la place, sa tronche se balance en avant et retape contre la porte du paradis, trois fois:
BOM BOM BOM.
-"Heu... ça va mec?
BOM BOM BOM.
(ça a l'air d'aller...)
Je passe. Dans mon dos:
-"VENGA VENGA VENGA!!!!!"
Et BOM BOM BOM. BOM BOm bom...
I ain't got no home...
C'est beau tout ça. C'est beau la ville, c'est beau, beau, beau.
Marche Gascons, fais ce que dois. Normal que tu plaises pas aux nanas aujourd'hui que je pensais, t'as même pas envie de baiser, sois honnête. T'as juste envie de marcher indéfiniment dans des aléas enchevêtrés de ruelles, de visiter des petits enfers bétonnés, de lever les yeux vers des fenêtres, d'imaginer des gens figés devant leur téloche, d'imaginer leur fauteuil en cuir synthétique vieux et percé de trous de cigarettes, de croiser un gros chat pouilleux qui te questionne de ses petites jades lucifériennes, de sentir un vent frais survoler ta carcasse de nerfs et de veines saillantes, et de disparaître un peu dans le monde. T'as tout du winner, coco.
J'arrive à une placette avec du monde réuni autour d'un écran blanc tiré au mur. La projection est finie. L'artiste doit expliquer pourquoi il a fait cette merde. J'arrive trop tard, dommage.
-"Je voulais parler de la violence."
Ah, putain, enfin une chose sensée ce soir. La violence. Hum. Je m'approche. Quelqu'un parlerait-il vraiment du Monde ce soir? de l'Homme? de l'Art?
Je me glisse entre deux voitures et j'attends que ça croustille.
Ca croustille que dalle. Ca parle de fauchage d'Ogm, de propriété privée intellectuelle des artistes. Un charabia. Et la violence bordel? elle est où la violence? dans mon cul? je leur ferais bien un happening, moi, là, en surgissant comme un diable au milieu de leur cénacle de tartuffes...
L'Art ne nous sauvera pas. Ca, c'est sûr. J'ai envie d'être un assassin, mais j'en ai pas les couilles. MON DRAME.
Ce qui serait beau, ce qui serait bon, ce serait d'aller trouver un petit peu d'herbe dans la nuit, et de s'allonger face à la lune, et de pleurer. De pleurer toutes les larmes de tous mes organes, et de me recroqueviller comme une araignée toute sèche, comme une brique de lait aspirée jusque à la dernière goutte, jusqu'à la dernière parcelle d'air à l'intérieur. Oui, mais bon voilà. A soigner ses angoisses à coup de cachets, ben on éprouve plus rien.
C'est pas grave, c'est pas grave, c'est pas grave: la rue continue.
J'y suis, au bas de chez la pote. C'est drôle: elle c'est Aurélie, et juste en face y a Aurélia. Aurélie je me la suis faite, Aurélia à moitié seulement. Si je m'emmerde trop chez l'une je pourrai filer chez l'autre. Et dire que je me plains...
Deux mecs, deux nanas, une bouteille de whisky. J'ai trouvé une femme pour la soirée, elle s'appelle JB. On forme trois beaux couples.
Musique, guitare, on parle chanson, poésie... Un des types nous annonce qu'il aimerait faire une chanson contre la société de consommation. Je lui dis que le contraire serait plus original. Il me dit que c'est pas grave de pas être original. Je l'aime pas. En plus il met du Coca dans son whisky et reçoit des mms sur son smartphone dernière génération. Il joue aussi avec son GPS intégré (pour trouver la route des chiottes? de la fenêtre et s'y jeter?). Si il y avait plus de révoltés comme lui, le monde serait un paradis.
On chante "la chanson des vieux amants" accompagnés à la guitare par une des deux nanas. "Bien sûr nous eûmes des orages...", l'autre fille, Aurélie, chante super bien. A l'entendre j'aurais presque envie de la baiser. Magie de la chanson.
L'autre gars écrit des textes. Il nous fait entendre sa dernière compo, sur Edgar Poe. C'est pas mal du tout. Rigolo. Je l'aime bien, lui.
Ma femme est de plus en plus vide. Mais bientôt c'est ma femme attitrée. Les autres la touchent même plus. D'ailleurs le gars à la chanson sur Poe se tire avec la nana qui jouait de la gratte.
On se retrouve tous les trois. Le con disait plus rien depuis un moment, faussement assoupi. Il attendait son heure. C'est son heure. Il se redresse depuis le canapé où son corps détestable était allongé, s'ingère dans la conversation qu'on avait Aurélie et moi sur je sais plus quoi, un truc bien, il s'ingère juste pour s'ingérer. Puis il lâche son premier truc malin de la soirée:
-"Bon, Aurélie, tu choisis qui comme amant? t'as le choix entre deux mecs."
Aurélie se marre. Je décapite le débat:
-"Moi je suis incapable de baiser, comme ça le choix est vite fait."
Je torche ma femme. Et glou. J'envoie un texto à Aurélia, la fille d'en face. Elle répond, elle m'attend si je prends une bouteille. Putain, je vais VRAIMENT plus être capable de bander... Je me casse.
Aurélia a eu une sale journée de boulot, elle est fracassée. On boit. Je la masse. Je l'embrasse. J'y fourre un doigt dans sa chatte.
-"Je suis trop morte, trop bourrée, et j'ai mes règles...je serais bonne à rien...
-"Moi non plus. C'est pas très grave."
Je continue un peu, elle se laisse faire, mais elle est vraiment bonne à rien, c'est vrai, elle ment pas. Ce manège grotesque dure un peu et puis elle me fait:
-"Ecoute,le prends pas mal, mais faut que j'dorme, tu peux dormir avec moi si tu veux, mais j'te promets rien..."
Pas du tout envie de me réveiller là moi demain, tu te rends pas compte Aurélia, des fois que le doigt du génie vienne me palper le cul au matin, je peux pas me réveiller là, non non non.
-"Aucun souci, j'ai passé une charmante petite soirée en ta compagnie, je vais y aller. Je t'accompagne dans ton lit et je me rentre."
Je la couche en lui répétant dix fois de pas dormir habillée. Je ferme la porte derrière moi. Clac.
A mon avis elle a ouvert les yeux dans son jean et son string de sang séché, en se demandant ce qu'elle avait fichu la veille.
Il est trois heures. Tout n'est pas fini quand on a trois grammes d'alcool et une sourde envie d'accumuler les échecs. Le Gomorrhe BOUM BOUM BOUM avec les Black eyed peas, Rihanna et toutes ces merdes. Royal. A peine un quart d'heure pour y aller à pieds. Enfin, vingt-cinq dans mon état, au mieux.
Au Gomorrhe je tombe sur une nana qui a drôlement embelli depuis qu'on s'était dragouillés des mois plus tôt. Le fun c'est que je capte bien qu'elle me remet pas. Ca me plait, je crache pas mon prénom. Ca repart pour un tour. On danse. On se triture un peu. J'en ai trouvé une aussi bourrée que moi. L'âme soeur en quelque sorte.
Oui-Oui nous paye du Poppers. Je vous raconterai qui est Oui-Oui une autre fois, il vaut le coup Oui-Oui. Pour le décrire vite fait on dira que Oui-Oui c'est céphalée poppers et coups fourrés, et qu'il a une chemise blanche.
Un moment que je fais pas gaffe il tente de me piquer la nana retrouvée. Il la galoche. Deux minutes avant il me parlait d'amitié, tout se tient.
Elle, elle hésite, ça se voit. Et puis elle sait plus qui je suis et ça la travaille. Je me barre en serrant la main de Oui-Oui comme si c'était mon meilleur ami, et elle, je lui glisse un mot plein d'espoir genre: "A dans six mois", ceci avec le plus beau sourire que je puisse creuser à cette heure-là.
Arrivé chez moi je trouve sympa d'envoyer un message à l'autre nana amnésique, me disant qu'ainsi elle aurait mon prénom, vu que je dois être dans son répertoire. Message de poète:
"Hé hé"
Moins de deux minutes après mon tel sonne. C'est elle. Je pensais pas que ça marcherait si bien.
-"Je te paye le café?
-"Allez, oui. Tu es où?
-"Pas loin, j'arrive dans deux minutes sur la place Machin"
Café, pains aux chocolat. Je la masse (je sais pas ce que j'ai avec ça moi aujourd'hui, je le fais jamais d'habitude) et je lui fous un doigt dans la chatte alors qu'elle est dans un demi sommeil (on saura jamais...).
Ensuite elle dort, elle dort elle dort. Une plaie. Jusqu'à pas d'heure. J'arrive enfin à la faire bouger du lit. Je la tripatouille, elle se laisse faire mais je vois bien qu'il y a un truc.
En fait elle me remettait toujours pas. Elle avait changé de tel, et donc plus mon nom dans son répertoire. Ah ah. Elle saura pas mon prénom, tant mieux. Ca m'excite moi, ça. Je lui inflige plus ou moins ce que je connais de mieux pour faire fondre une nana. Elle se laisse toujours faire mais y a toujours "un truc".
Je finis par poser LA question:
-"Je te plais plus?
-"... Je crois que tu m'as jamais plu..."
Elle est là, chez moi, rendue à moitié lascive par toutes mes caresses, impossible de s'arrêter là. Je lui tripote l'entre-jambes. Elle se laisse faire. Juste elle se laisse faire. Ca me gave. Je finis par la motiver à y aller. Elle prend ses affaires, sur mon pallier je lui embrasse le cou sans aucune raison, une fois de plus ma main logée au creux de ses cuisses.
Je vais à mon pc. Le génie ne me visite pas. Le jour est sévèrement entamé.