Mystagogie pour une fin heureuse
Cette histoire s'achève ici. J'ai aimé vous parler. Nous continuerons nos histoires parallèlement, de loin, sans se toucher. Des liens sentimentaux se sont créés, il faut les détruire: ils nuisent à l'explosion de la vérité. Les attentes sont trop perverses, je vous aime trop, lecteurs -et les attentes ne doivent pas être satisfaites par l'atroce exactitude du contentement. Je terminerai par une dernière histoire.
Cette histoire s'achève ici.
La lune était qu'un vieux mollard séché et baveux dans l'abysse sans fond du ciel. J'ai pris mon pied, je ne sais pas vous, mais moi, si. J'ai tenu la main à la mort, j'ai touché son pied, elle m'a touché de son pied. Je l'ai vue arracher la poésie au monde, la poésie est morte toute racornie, presque idiote au regard de ce qu'elle fut, gorgée d'amour tumoral, et puis une fois crevée, il y en avait encore (et c'était peut-être le plus dur). J'ai aussi tenu la main au sexe, dansé tout contre les parois vaginales les plus désirables, d'autres qui l'étaient bien moins. Et la lune, on ne la voyait pas toujours, mais elle continuait son blasphème nébuleux au-delà des voûtes alcooliques des décadences humaines. Elle continuera encore longtemps après moi, après vous.
Je ne suis pas un pessimiste. Le monde confine à la perfection. Je n'essaie plus d'être un écrivain, encore moins un poète. Je voulais tout vous dire. J'ai tenté de le faire, sans omettre le mensonge. J'ai enlaidi le beau, j'ai magnifié le laid, l'ai porté aux nues. Par souci de paraître crédible. Pardon à ceux à qui j'ai fait du mal, c'était dans un but artistique, et non malsain (je ne peux jurer cela). Je vous aime assez pour accepter de vous mentir.
Je vous dis que j'ai connu la Mort, avec ses lèvres pendantes. Elle avait encore tant à vous dire, tant à révéler, tant de musique à faire danser à vos oreilles.
Marion, Laurène, Cindy, Sandrine, Flore, Flora, Florine, Carmen, toutes celles dont j'ai la flemme de me rappeler, qui virevoltez sur la couronne épithéliale de mon gland gonflé: vous ne m'aurez plus. Assez de la poésie! Vive l'impermanence. Nous sommes des Hommes (la majuscule fait mal) et nous ne savons pas parler.
Cette histoire s'achève ici, je l'ai assemblée dans ma tête en revenant de la vie. Je reprendrai peut-être demain. Ca n'est pas très important. Nous verrons bien. Permettez-moi de me souhaiter bonne nuit. je retourne au Big Bang.
Voilà, la piqûre du sommeil a soulagé ma pensée, lui a fait perdre sa force et tant mieux: je n'écris pas pour les gens intelligents. Qu'ils aillent se faire foutre dans les absolues mathématiques. Je ne suis pas très intelligent et finalement ce n'est pas plus mal. Comme un dieu exalté par la petitesse du monde, par son égo enflé, j'ai vécu, j'étais une puce gorgée de sang courant sur un long corps juteux et magnifique. Les femmes, les mélodies, les plus beaux textes me montraient leur trame, leur mystère et j'ai puisé dedans, j'ai bu ce pétrole jusqu'à noircir tout mon être. J'étais un démiurge déambulant curieusement dans la création d'un autre. Un dieu dans un autre monde, un dieu qui sait sa mort prochaine, et qui s'en sent décompléxé. Rien à foutre de trouver le sens de la vie! je vous jure, trouver le sens, c'est mourir broyé. Notre errance est sans fin.
Cette histoire s'achève ici. Commençons-la. J'étais un sous-marin et je suis sorti à l'air libre, protégé un temps par l'écume qui couvrait encore la tôle de mon enveloppe. Ma gangue liquide n'a pas tenu longtemps sous l'haleine du monde. Je suis un sous-marin volant. Grotesque, oui! un peu!
Donc. J'ai quitté l'océan aveuglant quand des ailes morbides m'ont été offertes par la vie enfuie. Ah! je fendais l'air avec un sourire de missile! J'ai fendu des jupons, des pages, des pensées tierces. J'ai fendu mes propres ambitions, le langage, les carapaces horribles qui nous recouvrent comme les croûtes d'une cicatrisation interminable. Les héros grecs m'avaient observé sans rien dire, mais la caresse de leur puissance me faisait croire que les eaux du Styx m'abreuvaient. J'avais la force d'être détaché de tout, de ne jamais parler de moi, ou bien de le faire sans un regard introspectif complexé. Aujourd'hui je suis un sous-marin dans l'air, très lourd, qui brûle aux rayons du soleil, comme mes paroles.
Donc. L'achèvement est en marche, ce n'est pas une prophétie. J'ai vogué de trottoir en trottoir dans les rues avignonnaises. Je sombrais sur les tables des bars les plus crades, je montrais orgueilleusement mon corps à des yeux alcooliques ébahis de tant d'impudeur. C'était baroque and roll. C'était bon. J'ai tout eu, bien plus que ce que l'on peut raisonnablement souhaiter, et bien entendu, vous savez comment l'on est nous, les humains: cela n'a pas suffi. J'avais même l'amour que je repoussais de ma main épineuse. Je lui ai craché au visage (pardon pour cette affirmation rimbaldienne), mais comme c'était véritablement l'amour, il m'a souri et ne s'est même pas essuyé. Ah! je pouvais être fier! Je suis allé enterrer mon coeur après l'avoir jeté au plus loin que mon bras le permettait. C'était amusant de revenir de cette escapade, après avoir recouvert l'organe d'un tas de foutre, de bois, de feuilles, après l'avoir offert aux vers et aux insectes coprophages. C'était grisant. Je suis revenu sans coeur dans notre monde, dans l'urbanité décriée qui est notre tombeau, et que moi, je trouvais charmante.
"Tu as les yeux intelligents" m'a dit hier soir une fille abominablement bourrée. Je l'aurais tuée si il n'y avait eu autant de témoins autour de nous. Elle ne sait pas que seule ma bite est maligne. Reprenons.
Malheur aux amoureux! Il n'ont plus rien à espérer de cette vie, ils n'ont plus qu'à la quitter, une expression ineffable défigurant leur gueule contentée. J'ai repoussé l'amour de ma main épineuse, et l'amour conservait son regard doux et sûr de son pouvoir enchanté.
Je suis allé baiser dans des décharges avec d'infâmes femelles au cul noirci de poils, ces décharges étaient parfois mon propre lit, qui n'est pas resté propre longtemps, évidemment. Les plantes saprophytes trouvent leur suc où il faut. Bon! Et Dieu, l'autre, le vrai, tonne de son rire hystérique.
La beauté existe, bien entendu. Le céleste nous recouvre comme le cellophane recouvre une cuisse de poulet dans les rayons des supermarchés. Le poulet, bien que partiel, se croit encore vivant, n'allez surtout pas lui souffler, sous la chair qui le ridiculise, qu'il n'a plus qu'à attendre d'être cuit, il le sait aussi, c'est vulgaire. Laissez rêver le poulet. Les cuisses de poulet ont encore besoin de rêver. En passant au laser de la caisse enregistreuse il chantera son petit "biiip biiip", et ce sera son chant du cygne, regardez-le valser dans votre sac en plastique, cette danse, c'est la beauté. Profitez-en ensemble, le poulet, et vous; La caissière sera trop occupée à ses gestes de mort pour déguster avec vous le spectacle. Ne cherchez pas de public pour apprécier la beauté, le public est un assassin. Trouvez des aveugles et allez au théâtre ensemble, c'est plus savoureux.
En dansant j'ai vu des failles s'ouvrir, comme des bouches affreuses qui révèlent des dents noires et des culottes en dentelles, des cuisses hirsutes, des organes magmatiques, des clitoris sifflants, et toutes les strates d'un gâteau d'anniversaire découpé en tranches, un arc-en-ciel enfoui dans la terre. Ca tombait bien, j'avais faim. Il restait à en faire des poèmes aux crépuscules (les deux crépuscules), quand les réflexions assassines se taisent, abolies par la fatigue ou le whisky. Mon dieu que c'était jouissif de vivre dans ces conditions morbides.
L'alchimie existe, bien entendu, les alambics se forment sous nos doigts qui veulent comprendre la glaise, et il en sort parfois des choses. Pour l'or, je ne sais pas. Je ne connais pas l'or! Je ne dénigre pas le corps, c'est notre seul vase, il faut le passer aux flammes rageuses des initiations sans guide, le marteler d'outils incandescents! Faire du sport, courir sur les crêtes des escarpements dépourvus d'oxygène, voir croître les durillons sur le derme, et muscles et déchirements en dessous. Il ne faut calculer que l'effort, et franchir la barrière du résultat attendu. La mort reste trop lente et estomaquée pour nous rattraper dans ce périple-là. Croyez-moi, ce n'est pas de la poésie. Pour les formules, demandez aux agrégés de médecine et ne les écoutez pas, faites autre chose, ce qui seul vous passe par la tête. Il n'y a d'autres secrets que les vôtres.
La vérité est un petit rat fuyant, chargé de transmettre la peste dans notre esprit. Courez après les rats, c'est bon pour le cardio. Le coeur avait été enterré, je ne l'oublie pas, mais l'organe des palpitations, celui qui insuffle le sang dans nos capillaires, celui-ci est indécrottable, inaliénable, sérieusement ancré dans notre poitrine, il se gonfle mais jamais d'orgueil, il se gonfle comme la voile du bateau, il pousse l'esprit bien plus loin que le stupide horizon que nos yeux se chargent de délimiter aux confins de nos vies minuscules. Courez après la vérité, et bottez-lui le train.
L'égoïsme est une denrée puissante et précieuse. Mangez tout, soyez des ogres! nous ne pouvons être des hommes, alors soyez des monstres! et Dieu vous assiègera d'un sourire désarmé, et vous serez entré en guerre. Dieu n'est pas mort, ni sur la croix, ni dans les poèmes de Heine, ni dans notre époque: il est René. Le parvenu descendu sur terre avec ses joues en avant n'a rien compris des artistes, il a pondu depuis son divin anus un message universel. Il n'est pas de message universel hors celui-ci: IL N'EST PAS DE MESSAGE UNIVERSEL. Nous tirons notre essence de l'absurdité de l'être, du néant qui se regarde le nombril, alors, soyons égoïstes, pour le bien de tous. L'altruisme, le sacrifice, sont des perversions. Il n'y a rien à servir. Ne servez jamais la poésie, foutre, foutre, foutre! jamais! servez-vous de la poésie pour étendre votre emprise sur le réel qui va nous engloutir indifféremment de nos sentiments bons ou mauvais, de nos talents évidents ou cachés. L'ombre dégouline de et sur toutes choses, sauf à midi tapante, et midi tapante, ça ne dure pas. Nous sommes libres seulement à midi tapante, ou dans la nuit totale. Le reste du temps, les ombres nous pourchassent.
Fermons ensemble les volets de ces imprécations soufrées qui ne donneront, à ceux qui se risqueraient à les suivre, que des nausées flamboyantes.
Reprenons le fil de cette ultime histoire, avant de le brûler, ce fil. Elle commence hier, elle finit hier. Aujourd'hui n'est qu'un résidu, comme reste le placenta après un accouchement, et ce placenta est gluant, saturé de protéines. Il faut un appétit diabolique pour le manger. Donc: hier.
Je ne cherchais pas la beauté. Je ne cherchais pas même à exulter. Je m'étais fait ce que l'on appelle une raison. Dans ma boîte aux lettres, que des lettres d'amour de créanciers qui réclamaient leur dû, comme une pute, comme la chérie de notre coeur attend un retour sur investissement. Je n'en ai ouvert aucune, comme on dit dans ces cas-là "on sait ce qu'il y a dedans": quelque chose d'obscène.
Je suis redevenu obscène à mon tour. J'ai rejeté les manifestations de la vie, le devenir de l'Afrique, le flot jaillissant d'informations sécrétées depuis les dentitions journalistiques. Il n'y a que mon petit égo qui compte. Le reste n'est qu'un linceul. Je suis parti observer le monde, histoire de ne repousser aucune contradiction. Ah! être un psychopathe et un artiste en même temps! est-ce possible? Dieu, est-ce possible? Bien entendu. Les émotions qui ne sont pas glacées fondent et se désagrègent au temps qui passe.
Un bar. Un bar sympa, vaguement underground. Moins que le RADAR, plus hype. Je me suis adossé au mur au dehors, et j'ai observé.
Une jeune camée avec de la barbe sous chaque oeil, la barbe grouillante des drogues malsaines, celle qui nait par la profanation des petites cellules en train de crever sous la peau, cette barbe qui creuse la vie, qui n'exprime que la force scabreuse qui s'échappe alors de l'être en pleine décomposition, cette fleur sexuée et sordide faisait son cinéma. Comme elle avait ce charme des fleurs morbides qui s'assèchent plus vite que ne peut le suivre le regard attentif, et comme elle portait son vagin sur la bouche, des hommes l'encerclaient, et tous espéraient pouvoir la cueillir bien vite et finir par la baiser, morte ou vive -morte ou vive! les hommes sont des nécrophages.
Une nymphe mineure démontrait à chaque fois qu'elle ouvrait cet orifice gouailleur qui lui déchirait la gueule combien on peut être cultivé et stupide. Qu'elle était belle! Comme un papillon sur un steak. Elle était fière de faire tourner en bourrique son "amoureux" quadragénaire, et pourtant la bourrique, c'était elle. J'ai bien essayé de lui dire, mais sa bouche crachait des paroles si stridentes que ça lui en fissurait les oreilles.
La fleur morbide vint me parler. Elle agitait son corps longiligne comme un fantôme japonais, elle ondulait de ses membres dans une danse tellurique mortifère, aussi ridicule que belle à voir. Une balle en pleine tête ne l'aurait elle non plus pas stoppée dans son délire. Comme le papillon de la viande.
Ce que me dit la fleur maudite n'avait évidemment aucun sens. C'était un charabia expressionniste dirigé contre une personne absente que nous connaissions tous les deux. Elle me prenait le bras et le caressait de ses orthèses digitales sombres et visqueuses. Elle me caressait pour me faire croire qu'elle était bonne. Ses yeux cependant étaient aussi splendides que deux navires en train de couler conjointement: un balai aquatique synchronisé dans une marée noire. Je n'ai pas regretté qu'elle vînt délirer à mes côtés. Ce fut un bon spectacle, à fendre l'âme. C'était une fleur intelligente, et pourtant elle prenait l'autre pour le mal, et moi pour le bien. On ne peut pas être plus aveugle, plus insensible à la nature profonde des gens. C'est une narcisse condamnée.
Des flics faisaient des allers-retours. De pauvres flics de la municipale, occupés à gérer les débordements alcooliques de la ville vraiment furieuse.
J'observais encore. La mort était suspendue sur nos têtes, et la lune, coincée derrière sa plaque de verre, n'était qu'un mollard diffus, comme un chewing-gum collé sur le béton et rongé par un acide.
Je suis allé au canal de la rue des teinturiers. Les roues à aube restaient figées dans le miel nocturne, l'eau aurait pu être gelée, c'était tout comme. Quelques lichens foncés et humidifiés par le soir pendaient des roues, bave cristallisée aux lèvres vermoulues de ces bouches muettes et inertes. Nerval aurait aimé se pendre ici, mais on ne se pend avec succès qu'une seule fois, dans un seul temps, c'est tout le drame des poètes! Ravi de ce spectacle, je retournai au bar.
Le mur était encore là, son crépi m'avait attendu, mon dos le retrouva avec satisfaction. J'étais invisible au milieu des groupes polyglottes, ça parlait espagnol, anglais, peut-être russe. Quelques légionnaires assuraient notre insécurité.
La gamine vociférait toujours et s'en prenait désormais à un grand échalas déguisé en titi parisien. Le pauvre en recevait plein sa tronche, et malgré ses trente ans, on voyait bien que ça le touchait. Abruti. Il ne parviendrait pas à la baiser, c'était la première humiliation, mais la seconde était bien plus dure à encaisser: elle le lui hurla dans toutes les langues de tous les serpents qui s'agitaient sur son crâne de gorgone. Il en fut putréfié. Cette petite était un croisement de la rose du Petit Prince et d'un varan de Komodo, avec la gueule bouffie des bactéries mortelles qui habitent les babines de ce monstre endémique. Je l'aimais bien, cette conne.
Rassurez-vous, ce long tunnel touche bientôt à sa fin. Et moi je touchais ce mur que j'aimais tant. J'observais, j'étais invisible.
Les flics passaient et repassaient, à pied, en voiture. Un vélo cahota et grinça sur la route, il découpa mon regard lentement, c'était un vélo bleu chargé d'un tas de merdier et il transportait une fille, jolie, qui nous traversa comme une publicité tranche un programme télévisuel en deux.
Deux autres demoiselles d'une vingtaine d'années déboulèrent. Enfin, une déboula, en exécutant quelques pas de danses classique dénaturés par la boisson, et sa copine la suivait tant bien que mal. Il était clair que je passerai la nuit avec elles. Celle qui était franchement cuite reçut mon premier sourire sincère de la soirée. Pour l'autre je redevins invisible. Elles continuèrent leur marche incongrue en direction du canal. Il n'y avait rien là-bas pour qui ne veut pas en finir avec la vie, ou avec la nuit, comme ce n'était visiblement pas leur cas, elles allaient revenir.
En moins de temps qu'il n'en faut à un jet de pisse pour se diluer tout à fait dans l'océan, elles reparurent au bout de la rue. Je savourais ma victoire sur le destin.
Le trublion, qui avait un fort joli cul, s'arrêta devant l'entrée du bar, dos à moi, et lut avec gourmandise ce que le tableau promettait comme délices rhumées. Sa copine voulut la dissuader, arguant de sérieuses considérations quant à l'heure tardive. L'enfant n'entendait rien. Elles pénétrèrent. Je laissai une minute s'écouler et je rentrai également.
Passant devant elles, je dis à la plus attentive des deux:
"Tu n'en as pas fini pour ce soir avec ta copine".
L'autre minauda et me renversa une partie de mon verre de bière en me bousculant. Le pacte était scellé. Quelques gouttes à la mémoire des morts.
Bref, on s'en fiche. J'ai ensuite frotté ma queue contre leur ventre, et malgré ma ferme volonté, ma queue exprima ce qui ressemblait à du désir. Heureusement, un type armé d'un flingue (d'après la légende) entra dans la boîte et le videur vida (drôle ça) sa lacrymo. Les effluves poivrés et suffocants mirent fin à cette mascarade. Je raccompagnai les deux jeunes femelles chez elle, et une fois rendu seul, sur le chemin du retour je composai intérieurement des poèmes indicibles et oubliables. Mon chat m'accueillit avec le respect qui m'est dû.
Sous la lune, qui tachait la bâche impénétrable de notre tombeau nocturne, la nuit mourut, elle mourut comme meurent toutes les nuits: dans un silence crispé défloré par les gémissements de quelques camions poubelle.
Je trouvai le confort léthargique du sommeil sans me branler. Mon repos ne fut troublé par aucun rêve malséant.
Il y eut un lendemain! Avec une aurore, avec des sons, avec de la nourriture, avec des plaisirs. Je vis même une callipyge au visage enterré dans son cul si parfait qu'on ne croirait pas qu'il existât, même dans un roman aussi peu crédible que celui-ci.
Comme cela se fait sur terre, une nouvelle nuit vint englober cette journée aussi. Je retournai dans le bar de la veille parce que, parce que, parce que. Cette fois-ci j'y retrouvai une cérébrale au corps lancinant que j'avais eu le bonheur de snober quelques mois plus tôt. Elle se souvenait de tout, de notre danse impudique, de mes cuisses, de ma gueule d'Indien. Je me souvenais de tout, sauf de son minois. La scène m'avait parue plus mémorable que les acteurs. J'en avais été très fier. Après s'être noyé chacun dans la bouche de l'autre en compagnie de Jésus, de Socrate et d'autres petits fours qui agrémentent si bien les conversations, elle se fit absorber par sa mini jupe. Stop talking and kiss me now avait-elle dit, je n'ai pas arrêté de parler.
Histoire de me dissoudre un peu plus dans les conflagrations absurdes de mes noctambuleries, j'entrainai la fleur mortifère de la veille dans des valses sans objet. Avec elle j'étais certain de ne pas baiser. Sa carte bleue est un long poème en prose profond d'émotion, un corail doux de lumière diffuse, seul à même de donner du relief aux mornes battements de cils qui entravent la vision de la magnificence qui ne s'impose pas toujours à nous lorsque il faut partager pareils moments.
Nos comportements vils trouvèrent leur limite (enfin!) au bas de son appartement où je refusai de donner une suite à tout cela, pour cause de sensibilité retrouvée.
Encore une fois (mais pour combien de temps encore?) la torpeur épisodique écrasa mon corps dans un gouffre de draps plus très propres.
Il faut que cette histoire trouve sa fin. Elle se présenta ce matin, comme le mur de béton s'offre sans retenue aux crash dummies venus le percuter.
Je fus tiré du simulacre de la mort par un texto. Une meuf voulait tuer quelque moment en ma compagnie, alors que le soleil ne léchait pas encore son zénith. Nous n'avions passé ensemble qu'une heure et demie trois jours plus tôt. Cette relation débutait et promettait de décéder aussi vite. Je m'y rendis avec désinvolture.
C'est une autre narcisse, névrotique, imbue et déshydratée.
Cette autre narcisse bouddhiste (il faut haïr les bouddhistes), introvertie d'exubérance, brûlant intérieurement d'urée glacée, me parlait du sarcophage de plastique dans lequel elle protégeait désormais son somptueux iPhone, ou une de ces merdes indispensables dont je refuse de connaître la marque. Je l'avais trainée dans le plus joli coin arboré imaginable, à la fraîcheur, boire un immonde café. Cette salpingite refusa de me suivre dans l'herbe, quelques mètres plus loin, où je voulais l'asseoir afin qu'elle entendît de ma bouche l'un des plus beaux passages de la littérature française. Elle préférait rester au milieu des vieux qui prenaient la poussière, des enfants aux bouches définitivement ouvertes et des touristes bruyants, elle préférait abominer tout ce monde et me reprocher de l'avoir amenée dans cet endroit exempt de tranquillité et sommes toutes selon sa vision des choses, plutôt vulgaire. Je lui ai proposé de l'éviscérer à l'écart de la plèbe, arrachée à cette vulgarité qui agressait tant l'hermine ondoyante de sa divine intégrité. Mais non, elle voulait encore souffrir, elle ne voulait pas quitter ce monde pourtant si indigne de sa personne d'essence surhumaine. Son regard rouillé était la seule chose à préserver, tout le reste chez elle était à piétiner. Il n'y avait pas plus de grâce en elle que d'aptitude à la philosophie dans la tête d'un ver de terre. Cette salpingite était née à Dijon, ce qui est déjà bien trop d'honneur fait à son corps. Elle devait, après avoir déchu dans le sud où nul Aloysius Bertrand n'avait vu le jour, mourir en Avignon, mais pas de mes mains. J'ai maudit ses joues de trois baisers définitifs.
Maintenant j'ai reconquis ma tranquillité. Je suis face à mon écran d'ordinateur et je pense à vous, et je vous parle, de bête à bête. Ce tunnel a trouvé sa lumière, elle affranchit mes minuscules vérités de son éclat sans adjectif. Je ne suis plus sûr de vouloir pervertir la vie de mes mots décharnés et incomplets. Je ne suis plus sûr de vouloir définir la poésie. Je ne suis plus sûr de vouloir toucher de mes os les muqueuses inflammées de mes féminines congénères. Je ne suis plus sûr qu'il soit mauvais de partager ses doutes.
Comment dire?
J'ai aimé vous parler, bien que le plus souvent je fusse le seul à le faire, mais! mais j'ai entendu les gargouillements de vos viscères, et cela m'a réchauffé l'âme, et m'a presque rendu à l'évidence de son existence putative.