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                Mordred, le Mort-Né

Préface

  Mordred, ce n'est pas moi. Ce n'est pas mon double. C'est l'autre, ce n'est en fait même pas l'autre, mais encore un Autre.

  Enfin vous m'aurez compris, c'était quelqu'un. Son histoire vous sera contée.

  Mordred avait en lui un pouvoir infini, de quoi faire sauter la planète. Mais il n'en fit rien, il aimait trop la planète, et son père ne méritait pas d'avoir engendré Quelqu'un. Par vengeance, il n'en fit rien, ne devint personne. D'ailleurs il ne s'appelait pas Mordred, mais Medrawt.

  Accrochons-nous, nous mourrons peut-être avec lui, à la toute fin.

  Medrawt n'était jamais là où l'on l'attendait: il avait un projet masturbatoire que ses enfants achèveront ou non. Il est mort à trente-sept ans, laissant son Royaume à sa descendance, un Royaume né de ses doigts crispés, un Royaume bâti ni de pierre, ni de chaux, ni de sable; un royaume fait de prières et de bons sentiments inversés. Medrawt ne savait pas prier, pourtant il avait des dieux à ses pieds, mais pas Le Dieu.

  Il vécut, fut heureux et sanguinolant, il eut les dents brisées dès le départ, en rêve et dans la réalité, car Medrawt avait aboli ces frontières infrangibles.

  Mordred était quelqu'un, la preuve: son histoire vous est contée. Nous passerons de l'un à l'autre en naviguant sur des rivières de larme, à l'aide d'anciennes rames en os. Charon fermera sa gueule pour une fois.
 
  Prologue pathétique (à passer ou non)

Mordred, assassin
je te fais vivre partout
à terre
au fin fond des bouteilles
et mourir indéfiniment

je n'ai plus d'autres tâches
d'autre spectacle
que de te voir disparaitre en prenant le temps

du fond du sang
que tu as fait couler
depuis ton sexe tendu
ô patricide amoureux

de tes errances absolues
jamais enfui complètement

ton sperme a coulé,
pensées répandues à la ronde
autant de flêches fécondes

ce qu'il en reste:
des brouillards
des braillards adorables
un calice sans fond

Mordred, assassin
magicien des amours indicibles
adorateur des ordures
des chemins étoilés
peut-être que je t'ai tué

et que je te tue encore
peut-être que mon sang n'est pas le mien, que
mes mots sont les tiens

la distance désormais
entre ta liqueur et mon verre
de quoi s'en foutre de partout
jusqu'aux viscères

Mordred, assassin
oublieux sorcier des artères
clochard, bâtard
rongeur des abysses
suiveur des sans-terre
chantre de ton supplice
je t'enferme dans un livre
sans sortie, sans échapatoire
sans solution
sans style
sans génie

je t'enferme en moi
Mordred
pour te vomir
chaque jour
tous les matins
que ton odeur, fétide aujourd'hui

empire encore
pour toutes les nuits.
 
  Incipit:

  Chante, hurle et vagis et vomis avec moi, ô Cerridwen, la misère épique de Mordred, le chevalier des temps qui ne furent pas. Dégueulons en rythme et en ordre la Geste de ce fils honni, de "celui qui n'aurait pas dû naître". Ô Vieille Bique, jette sur nous tes blancs éclats, sans rien nous épargner, qu'ainsi je puisse lui rendre son triple nom Véritable, qui Lui fut arraché.

  Introduction au Chant I

  Medrawt était le plus beau, le plus sensuel
indigne et infâme chevalier bâtard de la Cour.
Le plus noir
le plus plaisant aux yeux concupiscents de ces Dames.

  Il faisait gicler le sang et la cyprine comme personne
la mort et les gémissements l'enveloppaient mieux que la brume
le crépuscule le plus froid.

  Medrawt échappa à la poigne des flots
l'écume elle-même n'en voulut pas au sein de ses eaux.

  Il avait tout sauf un père aimant:
un talent
un destin
derrière le regard des monstres horribles, un pouvoir de Mâlin
et une fin terrible.

            *

  Mordred vivait par vengeance
par delà la mort
la sueur et le souffle moisi
le nourrissaient plus que le pain et l'eau,
l'air s'en détournait avec respect.

  Chant I véritable

  Une union atroce, contre-nature et exhubérante le fit venir au monde. Mordred nacquit de deux Maudits, copulant tristement, sans amour, et par le fait d'une très sombre magie. Rejeton d'un inceste et d'un viol, on peut dire sans trop exagérer qu'un spectre grimaçant planait sur son berceau, planant d'un vol lourd et bien entendu inquiétant. Rarement c'est la femme qui force l'homme au rapport, et pourtant c'est ce qu'il advint, car sa mère était une dangereuse sorcière au dessein plus noir encor qu'une nuit sans lendemain. Elle força le père de Mordred, et celui-ci, bien que stérile, l'ensemença. Les dieux observèrent cette union en frémissant.

  On dit que tous les insectes présents dans la chambre périrent de ce qu'ils entendirent et contemplèrent, à moins que ce ne soit à cause du sortilège profanateur qui devait aspirer la vie afin d'aider un homme au sperme caduc à engendrer quelque chose. La normalité était en tous cas absente de cette nuit-là.

  Un magicien, un prophète ou un charlatan informa le Père du danger qui se profilait: un jour Mordred l'infortuné tuerait son géniteur. Il conçut ce plan aux relans bibliques de massacrer tous les enfants nés à la même date que le sien. Tous réunis sur un navire, il le fit couler. Ce fut le premier miracle de l'existence de Mordred, et d'une certaine manière, son premier fait d'arme: il réchappa au naufrage, car le dieu des océans ne souhaitait pas son éternelle compagnie.

  Le sans-Père fut élevé par un anonyme que la Légende appelle Nabur, un paysan, gentil, simple et rude comme un paysan. Et même si c'est en partie faux, si la légende le dépeint mieux qu'il ne fut en réalité, la vérité est et demeure quelque part, en un endroit que seul Medrawt connait. En tous cas Nabur ne tua pas Medrawt à la tâche comme cela arrive parfois aux campagnes.

  Mordred commit quelques exploits très jeune, très tôt, rares sont ceux qui en gardent mémoire, car c'était en des temps très anciens et éloignés des nôtres. Mais à sept ans il excitait déjà la jalousie des adultes en accomplissant des actes que certains ne peuvent pas même imaginer sans user de puissantes drogues.

(Apparté: je voulais prendre ici un repos, mais je sers Medrawt, et lui, bien qu'il dormît parfois comme tout à chacun, ne fainéantisait jamais, et son souffle me torture, il exige sa part, sa rétribution, son offrande du jour ne l'a pas satisfait entièrement. Il pose sa main d'opale sur mon épaule et me griffe l'oreille, car il ne peut plus parler, mais je sais ce qu'il veut, que son chant, que sa geste résonne encore un peu.)

  Bien qu'aux champs comme nous l'avons vu, Medrawt apprit, seul, le maniement des armes, lance et épée, les attributs des Chevaliers. Avant dix ans, il pouvait à ce jeu là, et pourtant chêtif d'apparence, battre presque n'importe qui, ce qu'il ne manqua pas faire. A l'école, il eut été un premier sans montrer d'effort, et sans joie, car il savait sa destinée bien au-delà des aspirations humaines. Sans avoir appris la lecture, car bien sûr à la campagne ce n'est pas chose commune, il sut déchiffrer les mots, comme par magie, par magie d'ailleurs. Il comprit seul le latin, et se gorgea de l'Eneide dont il nous manque aujourd'hui des vers, vers qui furent sans doute portés à sa connaissance, lui le Maudit Chanceux. Virgile lui prit la main et l'emmena dans les profondeurs qui insuflent la Puissante Tristesse. Il y retourna souvent, car il en conserva la Clef. Puis son enfance passa.



  Medrawt était l'Amour. Ce n'est pas ce que dit la Légende, mais la Légende est ce qui mérite d'être lu, non pas ce qui mérite d'être cru. Je maintiens qu'il était l'incarnat de l'Amour, et pas uniquement par crainte de tout le mal qu'il pourrait faire encor s'il se savait vilipendé à travers les âges.

  Son aventure sur notre Terre est celle de la tragédie. Une marche inéxorable vers le malheur écarlate et éclatant, une agonie lente, comme on étouffe l'espoir. Medrawt était l'Espoir, d'une Race, d'une Geste, d'un père indigne, d'une mère cauteleuse, de tous les peuples, et des dieux ressucités, qui tous ensemble furent accablés par ce qu'il fit de ses Dons.

  Ce qu'on ignore le plus souvent, c'est que Mordred écrivait. Il fut même l'un des plus inspirés poètes de son Temps. Mais rien ou presque ne nous reste de son travail, car la Légende avait d'autres chats ou rats à fouetter. Il ne faut pas faire confiance à la Légende, seulement l'écouter avec un naturel respect et une grande rigueur spirituelle. La cause majeure de la disparition, de la non survivance de son Oeuvre est ici: Mordred ne pouvait assumer aucune Gloire. On le traita de fourbe, de lâche, de traître, ces traits se comprennent mieux si l'on sait qu'il n'acceptait pas de passer pour le Meilleur. Mordred mit autant de force et d'ardeur à saper son propre travail que le plus habile forgeron à fondre la plus précieuse épée. Il écrivait sur l'écorce des arbres, sur les feuilles de chêne tombées au sol et craquelées, sur les murs froids à l'aide de son fluide glaçant, il sussurait à l'oreille de ses conquêtes, il psalmodiait dans le vent ébouriffant des âpres matins.

  Veuillez croire que ce qui suit n'est pas l'oeuvre de votre humble serviteur, mais bien de son ancien Maître, je mets mon honneur et ma tête sur la table de votre jugement: ce qui suit est bien ecrit de la main même de Mordred, le Mort-né, et non de la mienne, je vous conjure de croire ce qui n'est pas un mensonge, ni une fantaisie de conteur. Vous verrez aussi combien Medrawt était l'Amour Véritable, et non le perfide assassin que l'on se plait à affirmer dans des histoires au parti-pris navrant pour le père inique de ce dernier. Medrawt était l'Amour et l'un des plus grands poètes, en voici la preuve irréfutable:

  "Est-ce naturel
ou pas
ce sentiment d'être un gaz instable
frissonnant avec l'adieu adieu adieu
je suis néon brouhaha ronronnement
angoisse et désirs informulés
Si je ne suis pas avec vous
Je suis près de vous
peu m'importe que vous le sachiez
c'est bon de vivre à travers vous"

  S'il faut frissonner, frissonnons. Ne me demandez pas comment ces quelques vers sont arrivés en ma possession, ni comment il put connaitre le néon à son époque ou les meilleurs physiciens peinaient à faire cuire un oeuf à la coque. J'ai déjà dit qu'il souffrait d'avoir tous les Dons, ce n'est qu'une démonstration parmi d'autres, qui fleuriront dans cet ouvrage comme éclosent les sentiments dans le coeur des jeunes filles. Medrawt était un assassin, un poète, un génie, un précurseur et un destructeur de Royaumes, c'est un fait. Que les sceptiques voient ce livre s'échapper et tomber de leurs mains de poussière.



  Addendum au Chant I

  Je me rends compte que je suis allé trop vite. Par souci de ne pas vous tirer de trop faciles larmes, j'ai seulement effleuré la tentative d'infanticide perpétrée par le Père sur Mordret, et l'hécatombe qui en découla. C'est faire bien peu honneur à la sensibilité de Mordret qui dut
se forger dans la haine et la peur qu'il inspirait à son géniteur.

  Il faisait un temps magnifique. C'est une chose peu extraordinaire, mais vraiment, il faisait un temps magnifique. Le blanc disque solaire du mois de mai s'enorgueillissait de ses rayons de très bonne facture, surtout pour un mois de mai. C'était une bien belle journée pour mourir. Trop belle.

  Mordret n'avait conscience que de sa bouche et de son anus, ce qui est tres commun chez les artistes en devenir. Sa nourrice s'était bien vite attachée à lui, car il était beau et rigolard.

  La nature ne chantait pas, mais s'y préparait avec scrupules.

  La porte de la cahute craqua plusieurs fois, sèchement, et de cette façon que l'on sait être sans appel.

  Mordret ne pleura pas.

  Plusieurs hommes d'armes pénétrèrent dans le logis et l'un deux intima:

  -"Donne-nous l'enfant, ordre du Roy."

  De l'eau saumâtre gicla des coins intérieurs des yeux de la nourrice, elle ne savait pas, mais sentait que plus jamais elle ne reverrait son préféré.

  Dans une indigne et quelconque charrette, Mordret, ainsi que tous les bambins nés le même jour que Lui, fit le voyage cahotant qui le menait au rivage, et fut jeté, sans le ménagement dû à son rang, dans une cale de ce petit navire sans grâce, à voile unique, qui attendait son précieux chargement. Bien que les courants furent bien froids, un troupeau de méduses roses s'agglutina autour de la coque de l'esquif, et l'escorta comme des groupies suivent leur idole.

  Le ciel ne s'obscurcit pas. Il faisait toujours bien beau. Un homme, cheveux sales et munificents, observait la scène depuis une falaise, un sourire d'anticipation sceptique flanqué au visage. L'homme voyait bien, il voyait tout.

  Puis les eaux changèrent de face, elles se retournèrent, colèriques et soulevées par une humeur soudain modifiée. Mais le navire ne sombrait ni ne coulait.

  Au contraire même, cette brusque variation du sol aqueux, cette gesticulation continue et abrupte de l'onde empêchait le marin chargé de saborder son bateau d'effectuer la triste et sordide besogne. Il s'y reprit à dix fois avant de parvenir à percer d'un coup de hache la solide embarcation.

  Tous les chiards pleuraient, sauf Mordret qui conservait ses forces pour le périple à venir.

  L'eau s'engouffra dans la coque comme un crachat blasphémateur de géant pénètre par la bouche ouverte d'un tout petit dieu trop confiant.

  Le ciel se couvrit enfin du voile fuligineux qu'on était en droit d'attendre. Les méduses s'étranglaient de consternation. Le premier à périr fut le marin infanticide qui glissa de sa jambe molle en tentant d'atteindre la barque qui devait le sauver du carnage. Alors qu'il lançait une main arthritique sur la rame qui fendait l'écume dansante, une autre main que la sienne, venue du fond des abysses, mais de nature inconnue, lui chopa la cheville et l'emprisonna à tout jamais dans le limon glacé.

  Le navire sombra avec tous les rejetons infortunés qui coulèrent, sauf un, imbibés et lourds comme des miettes de pain d'épice dans un bol de lait.

  Nul ne sait par quel prodige du Diable ou d'un dieu discret Mordret put réchapper à la méticuleuse extermination. D'ailleurs sa trace se perd jusqu'à ses sept ans, et le Père dormit cette nuit-là sur ses deux oreilles, bien que l'expression fût surfaite.

 

                                                        ***

  Introduction au Chant II

  Medrawt n'eut pas d'enfance.
Non, il n'eut pas d'enfance,
mais une Initiation.
Il ne joua jamais, il s'entrainait.

Les petits enfants rêvent et passent le temps,
Lui fit des Rencontres en étant éveillé
il se nourrit de Contes, et allait régulièrement
aux éxecutions publiques
nul ne le vit jamais pleurer;
son amie était une bique.

  Son quotidien nous échappe entièrement
mais certains de ses exploits marquèrent les esprits
comme le flux et le reflux de l'océan
lacère les falaises
et forge les plus tortueuses topographies.

  Chant II Véritable

  J'ai dit que sa trace se perdait jusqu'à ce que Mordred fût recueilli par Nabur le gentil paysan (gentil parce qu'il ne le tua pas). Ce n'est pas un hasard bien sûr, car son Père l'aurait pourchassé si l'on avait appris comment et où il vivait. L'enfance est un endroit mystérieux de l'existence, de la génèse d'un Personnage; la sienne fut certainement assez étrange et extraordinaire pour avoir été peuplée de véritables fées, monstres, korrigans, hydres et longs serpents. Enfin tout se peut imaginer quand on sait QUI il est devenu par la suite. Les plus étonnants breuvages ne se touillent pas dans un contenant quelconque. Car Mordred était un breuvage.

  Je mets en garde le lecteur contre son habituelle défiance à l'égard de ce type de récits: tout ce qui va suivre est absolument véridique et attesté par des moralités dignes de foi. Je sers la mémoire d'un Maître, et lui retirer ou lui ajouter quoi que ce soit serait un crime dont je me tiens éloigné ainsi que le condamné aimerait tenir son cou éloigné du fil du bourreau.

  Deux Exploits fondateurs nous restent, deux premisses de sa Geste. Je les dirai antéchronologiquement, car Mordred portait un regard à rebours sur les événements, les choses et les gens; ce n'est pour moi qu'une naïve façon d'être plus près de Lui, aujourd'hui qu'il n'est plus.

  Sans savoir ni où ni avec qui il vécut ses sept première années, on dit qu'il avait pour seuls jouets des simulacres en bois. Un cheval et une épée, ce qui, pour un futur Chevalier, se conçoit aisément. Il se balançait beaucoup sur son petit cheval à bascule, parfois en grommelant des sons guturaux, comme en transe, comme un moine se saoûle et inerve une petite glande à la base du cerveau.

  Il se balança si bien, chevauchant en imagination tant de lieues, tant de routes tracées dans ses pensées, gravissant chemins et monts, faisant avec talent crisser les petits cailloux qui, sans doute, parsemaient son lieu de résidence, qu'un beau jour, à l'orée justement de sa septième année, il monta son premier vrai cheval, vivant -et fougueux car sauvage- et le monta comme un cavalier de longue et solide expérience! Par le pays on vit passer un tout petit garnement sur un grand et fier destrier, et chacun se figea de stupeur devant tant d'adresse, et chacun se dit à part soi "voilà sûrement le rejeton de quelque Seigneur du comté voisin". L'histoire veut qu'il déboula directement chez Nabur, qui dans un premier temps fut bien embarrassé d'une si exceptionnelle visite.

  Le second Exploit paraîtra pour certains d'entre vous bien dérisoire en comparaison de sa stupéfiante adresse hippique innée. Ou bien vous direz que ce n'est là que fruit du hasard et non un évènement dans lequel un esprit droit et bien formé doit y voir une relation de cause à effet. Moi je sais qu'Il en est à l'origine et que Son regard transforma la réalité. Si je le sais et le crois volontiers, c'est d'une part qu'il s'inscrit parfaitement dans la ligne de ce que Mordred devint par la suite, de l'inhabituel pouvoir qu'il exerçait sur les femmes, et d'autre part qu'il me le raconta lui-même (c'est à cela que l'on reconnait les gens hors du commun: leur mythomanie ploie la réalité).

  Il promenait ou suivait un animal quelconque dans une épaisse forêt, au milieu des fourrés, des pins et des cyprès. Son regard lapidaire croisa celui d'une Dame errante, bien accoutrée et richement vêtue. Ils se dévisagèrent quelques instants, statiques comme deux animaux se jaugent avant de déciderde combattre ou de fuir chacun de son coté. La mystèrieuse Dame s'attrapa soudain le bas-ventre, comme sous le coup d'un assaillement inopinné de ses organes. Elle releva ses jupes roses et blanches, offrant à Mordred le spectacle inoubliable de son intimité révélée. Lui ne bougeait pas, tout absorbé par ce cadeau du démon érotique. La Dame s'adossa au tronc sis derrière ses épaules, et glissa avec une atroce lenteur jusqu'à avoir les genoux pliés. Mordred ne quittait pas des yeux la pilosité de sa congénère. Ainsi accroupie, elle pissa une quantité anormale d'urine, puis se releva sans cérémonie ni empressement et recouvrit ses jambes de son vêtement. Elle non plus n'avait pas une demi-seconde relâché le contact visuel d'avec Mordred, ému à l'intérieur, mais impassible au dehors.

                                                    **

  J'ai dit que Nabur, le père adoptif que le destin choisit pour Mordret fut quelque peu gêné de son rôle tutélaire improvisé. C'est en dessous de la réalité. Nabur n'était pas méchant. Mais il n'avait rien, vraiment rien, d'un père, aucune ressource naturelle pour cette fonction. Son esprit était celui d'un homme élevé sans autre amour que la reconnaissance des animaux qu'il nourrissait dans le but de les manger, sans culture que celle des champs. Il s'intéressait à la température qu'il ferait le lendemain, à la possiblité de la pluie, aux alcools qui lui greffaient un sourire idiot sur les dents. Je crois qu'il ne leva jamais la main sur Mordret, mais rien n'est moins sûr. En tous cas, il craignait Mordret, et percevait la puissante magie qui se dégageait du petit fardeau humain qui lui avait été échu. On dit que Nabur voyait régulièrement en Songe des personnages très étranges qui le mettaient en garde de jamais se mal occuper du Sans-Père. Les paysans n'ont que peu despiritualité, mais sont souvent superstitieux, les imprécations qu'on lui assénait en rêve durent le marquer profondément et expliquent donc le comportement tout en réserve qu'il eut à l'égard de Mordret. Dire qu'il ne voulut jamais lui décoller la tête du reste de son petit corps serait un mensonge. Peut-être même qu'il haïssait Mordret, mais je pense que ses sentiments étaient en fait plus contrastés, comme un mécréant redoute et considère le Créateur. Nabur n'était pas doté d'un grand intellect et tout ceci le dépassait de beaucoup. Il assuma sa charge du mieux qu'il put dans ces circonstances-là. Je le répète, bien que Mordred lui-même m'en voulût d'affirmer cela: dans ces circonstances-là, très particulières, on peut dire que Nabur fit du mieux qu'il put. Il ne le tua pas, ni n'offensa sa vertu, ce qui n'est déjà pas si mal. Il le nourrit aussi, et ce, sans vraiment rechigner, car si les paysans passent souvent pour avares, et le sont il est vrai, ils ont le respect, un respect informel mais réel, pour la Vie.

  Je ne veux pas en faire trop sur le cas de Nabur, mais il faut se mettre à sa place un instant. Un petit bonhomme débaroule d'on ne sait où dans votre logis. Vous êtes un simple homme des champs. Le petit bonhomme vous intime de vous occuper de lui. En un coup d'oeil vous percevez toute l'anormalité de la situation et la sombre fascination qu'il exerce sur vous (sans cela, pourquoi accepter?). Le bonhomme est un Petit Prince qui ne vit comme personne, qui lit, qui lit du latin, qui sort des livres qui ne viennent de nulle part -car Mordret arriva avec son seul cheval de chair et son épée en bois- toute la journée enfermé dans la petite chambre qui semblait l'attendre, il sort quand bon lui semble, et ne vient vous honorer de sa présence qu'aux heures des repas. Le petit ne vous apparait même pas reconnaissant, bien qu'il ne vous manque pas ostensiblement de respect. Tout ceci est très spécial, s'il n'était une sorte de magie, de Destin auquel on n'ose s'opposer, la chose aurait mal fini, non? Nabur n'est pas à blâmer, je le regarde aujourd'hui avec une drôle de compassion, et un sentiment que je ne saurais moi non plus décrire, parce que cette complexité, je ne l'ai pas vécue, seulement observée. Ce ne fut facile ni pour l'un, ni pour l'autre.

  Mais revenons à Mordred lui-même. A ses premiers émois. S'il manqua d'un vrai Père, car Nabur n'était qu'un succédané, il n'eut pas plus de mère. Celle-ci était sorcière, à moitié folle et d'une absence dont on ne cicatrise pas. L'amour l'enveloppa donc comme la richesse matérielle le mendiant. Une quête perpetuelle, le Graal invisible contre lequel il se brisait les dents aux premiers jours de sa raison. Il le comprit très vite. C'était un Tantale de l'Amour, emplit d'un désir, d'un besoin inextinguible. Le plus ironique dans cette malédiction viendra plus tard, lorsqu'à l'âge adulte, toutes les Dames, tous les hommes, sentiront en lui ce besoin retourné. Mais nous en parlerons le temps venu. Il était question de son premier émoi, et si l'histoire en soi n'a rien d'exceptionnel, je lui dois, je vous dois, de la relater. Les psychologies se forgent dans une métaphysique souvent banale.

  Il était une diaphane enfant aux cheveux comme les blonds champs, longs, en désordre, mais dans lesquels Mordret désirait plonger ses mains. Il enviait le vent qui les frôlait sans autorisation, sans refus et sans gêne. Le vent n'y prenait aucun plaisir, c'était injuste, lui au contraire en concevait le bonheur que cela pouvait lui procurer. Un matin qu'il en sentit l'impérieuse envie, et que le courage ne lui manqua pas, après un regard probablement trop court, il lui fit part de son transport, transi par le risque encouru. La fille en rit impunément. Le sang de Mordret se chargea de honte, de tristesse et adjoint à son manque naturel un malaise qui ne le quitta plus, même lorsque des années plus tard, il obtenait toutes celles qu'il voulait. On ne devient pas autrement Artiste, Chevalier, ou Assassin.

                                                     **

  Partage du Doute

  J'ai peur aujourd'hui de ne plus être le héraut que ma position exige. J'ai le doute affreux, la sensation de césure à l'estomac, l'inquiétude que ce Chant ne soit pas à l'exacte hauteur de ce qui doit être dit et conservé dans les oublieuses mémoires.

  "Ô Cerridwen, peut-être n'ai-je pas assez pleuré sous les découpes tranchantes de l'astre second, peut-être ai-je mis trop de coeur là où il faut piétinner par le ventre. Je regarde les anciens travaux. Fais, ô Muse, mourir mes mots, que s'intercale entre le Monde et l'Absent, l'humble langue qui profère la Vérité. Que je sois tué bientôt si le respect s'éloigne de mes doigts. Affuble-moi du bec de l'oiseau qui chante selon les vieilles Lois."

  Sur Mordred beaucoup de mystères
demeurent et demeureront
car la mémoire de ceux qui l'ont connu s'étiole;
mais il ne disparaitra jamais complètement.

  Mordred n'avait rien d'un mystèrieux
et pourtant il échappe à la totale compréhension
il s'échappait souvent
comme on ne peut retenir le vent quand une fenêtre est ouverte

  Ceux qui l'ont croisé en gardent
la profonde cicatrice
merveilleuse et brûlante

  On ne sait pas vraiment ce qu'il voulait
hors qu'il chérissait sa race
comme jamais nul autre assassin

  Mordred était le Contraste
le fil entre l'Ombre et la Terre
l'oblique
le sourire dans l'abime
la raison sous la Lune
la fuite et l'arrivée
il ne pratiquait pas la Magie
il était
la Magie.

  (On m'a dit hier qu'un autre Mordret était mort-né, il y a peu. Les drames se répètent. Il portait le nom Caché, celui que je ne peux révéler sans craindre la foudre, sans que les nuages spongieux crachent leur venin sur la Mémoire en marche, sans prendre le risque de voir la Fin trop tôt nous dissoudre. Je le tairai tant que la force ne me quittera pas, je prie les dieux encore conscients de maintenir les univers parallèles, jusqu'à ce que ce qui doit être fait advienne. Il faut que je verse l'Eau des fous au sol stérile, pour que ma raison s'envole. je m'y plie.)

                                                       **

  Il arriva vite l'âge de ses quatorze ans, vite pour nous, qui écoutons sa chanson, mais pour lui qui entra en souffrance dès ses premières reflexions, le temps fut long; tout se décida selon trois cycles de sept annnées, qui furent trois vies. Au-delà ce ne fut que confirmation de ce que la voix du Destin lui souffla au visage, comme on soufflète pour le défi aux aubes mortelles. Il prit le gant en pleine face, sur la joue droite, puis sur la joue gauche, car Mordret avait tôt lu la bible, et savait quelle figure adopter en pareille circonstance. Je dirai comment les Secrets lui furent annoncés, mais ce n'est pas déjà l'objet de ce récit et il faut en respecter l'ordonnancement.

  Mordred a donc quatorze ans.

  Son père sait qu'il ne peut déjà plus l'étouffer, que son existence et la sienne sont liées et qu'à moins de se crever les yeux, il devra supporter le voir, se confronter à Lui, au Jugement également de son Fils, de ses pairs, et bien sûr, des dieux, qui opérèrent au commencement.

  Le père démissionnaire envoie un présent, après s'être beaucoup fait prier. C'est une machine fabuleuse, de jeux et de calculs, mais à l'époque on la nommait Magie. Le noir outil produisait des bruits étranges lorsque mis en branle, semblables à ceux d'un criquet quelque peu diabolique, ou d'une cigale capable ni de mesure ni de rythme. C'était trop pour Nabur qui ne put supporter la mécanique proximité de cette chose sûrement issue des entrailles mêmes d'un démon; oui, les paysans sont obtus et superstitieux, nous l'avons vu. Je ne saurai jamais si le père avait tout établi afin que Mordet fût chassé de chez le paysan, mais c'est ce qu'il arriva.

  Ce fait est souvent ignoré des récits connus qui traitent de ces Légendes véritables: Avant d'être admis à la Cour, Mordred fit un sejour chez sa grand-mère maternelle, au coeur d'un tout petit pays, logé dans une chambre qui ne fut jamais la sienne et dont les murs se resserraient bien fort afin de le lui rappeler sans cesse. Rien que la tapisserie était une torture pour la vue et l'esprit, un sortilège de Domination dont l'emprise était une continuelle épreuve, qu'il y fût éveillé ou endormi, car, lorsque le corps est alangui dans le repos nécessaire, la tête et les pores sont encor ouverts et peut s'inflitrer tout le mal qui grouillait sous les dessins des cloisons.

  Si Mordred était fou, nul doute que le germe se developpa considérablement en ce sordide endroit, où, une fois de plus, l'Amour n'y trouvait sa place.

  La grand-mère subissait deux feux, contre chacun de ses flancs, compressant si fort ses bras que jamais elle ne put y placer Mordret sans l'agonir, volontairement ou non. Elle n'avait rien de précis contre Mordret, mais il représentait son échec, car ses deux enfants, le mâle et la femelle s'étaient unis, et cette union était une honte, un présent fait aux puissances de la destruction. On voit que chacun nourrit sa responsabilité comme la lèpre au visage ronge les chairs et y peint l'atroce maladie.

  C'est l'heure à laquelle Mordret devenait Mordred, et bientôt Medrawt. Il conçut à cette époque son besoin d'échappatoire, sa prochaine vie d'errance. Car nulle place n'était la sienne, on le lui rappelait sans discontinuer. Il voulait vivre en mendiant, en clochard, c'était son seul but avoué, son unique fierté reconnue. En ambition, il était fort avare.

  Dans ce terreau fertile pour les herbes méchantes, Mordred devint l'individualiste débordant de joie à l'endroit des autres, dont tous perçurent l'insupportable contradiction d'être.

  C'est aussi à cette saison qu'il fit les pires et les meilleures lectures, celles qui imbibent l'esprit, qui nouent dans les viscères à la fois la terrible sensiblité et offrent aux yeux de voir ce qui ne doit rester caché aux gens comme Lui. On déposa même entre ses mains un livre qui n'était pas encore écrit, un livre splendide et fétide. A sa lecture, Mordred en eut pour toujours le Mal des aurores.

  Il eut aimé écrire, vraiment. Mieux qu'un autre il en avait le pouvoir, le sens du Mot juste était plus violent, plus obvie à son esprit, que le nord imperturbable et droit sur l'infaillible boussole. J'ai déjà dit qu'il composait beaucoup, des poèmes, des récits, des lettres à toutes sortes de créatures (diversement dignes d'ailleurs de son génie), mais un bien plus sombre chemin l'obnubilait et détournait sa volonté. C'est hélas ce méandre-là que les Vraies Forces choisirent pour lui; et comme il était humble, il accepta son Sort. La Littérature orpheline devra chialer longtemps d'avoir ainsi perdu Celui Qui Ne Fut Pas.

  En ce temps des pérégrinations, Mordred croisa la route de ceux qui auraient souhaité Le suivre. Le Malheur adorable le mit face à face avec son Amour initial, qui fut sa seconde mort. Mordred eut quatre Morts. Ses compagnons, comme la mauvaise flèche en son Coeur seront présentés dans le récit de sa Geste, bien entendu. Mais pas immédiatement. Car le Diable crie dans ma bouche qu'il est venu le moment de lui faire sa place. C'est le diable qui choisit quand apparaitre, au milieu de son halo redouté d'amères saveurs, de fils toxiques enchevêtrés, à l'endroit du chemin qui lui semble approprié. C'est un peu étrange je l'admets, car j'ai dit vouloir respecter avec rigueur l'ordonnancement du vécu de Mordred, et il connut certains de ses Amis avant ce crucial détail qui va suivre. Mais le Mâlin lui apparut sans prémonition préalable, selon le moyen qu'il avait décidé. Lors, le voilà qui m'intime de lui faire sa place, et je m'y plie, car je n'ai aucun pouvoir dans ce travail qui se déroule pour vous.

  Medrawt avait dix-sept ans. Certains resteront dubitatifs à la lecture de ce qui va suivre. Ils le peuvent. La stupide raison n'aime pas s'avouer vaincue et saute comme l'écureuil sur la plus petite branche d'incrédulité pour conserver un semblant de prise sur le réel tel qu'on se plait à
l'imaginer, pour la sécurité de ses certitudes. Qu'importe. Oui, Mordred était souvent ivre. Il lui arrivait aussi de laisser ses muqueuses pénétrées par les poisons qui nous livrent à la folie. Qu'importe. Ce qui suit est la Vérité, et rien n'empêche ceux à qui cela déplait de fermer ce livre et de n'y plus toucher. Ce choix est vôtre.

  Medrawt avait donc dix-sept ans. Il traversait comme toutes les nuits ou presque le pont qui enjambait, et enjambe aujourd'hui encore, un vilain fleuve, logis de poissons qu'aucun pêcheur sain d'esprit n'eût voulu comme repas. La nâcre de la voix lactée faisait une douce literie à la Lune, pleine comme un oeil grand ouvert. Il y avait ces étoiles que Mordred aimait tant, car elles lui étaient d'un secours que vous apprendrez plus loin. Il revenait de quelques rieuses beuveries ensorcellées des belles musiques que ses amis jouaient avec grand talent.

  Descendant les marches qui se trouvent à main gauche lorsqu'on revient du bourg proche, il ressentit le besoin de se soulager dans un lieu d'aisance détruit depuis. Il y entra.

  Mais une présence l'y attendait.

  L'homme, mais ce n'était bien sûr pas un Homme, se montra à lui. Il ne souriait pas, ni n'opposait le masque du défi à celui qu'il ne détestait pas.

  Ce diable lui tendit une main ouverte à l'intérieur de laquelle surnageaient en scintillant de petits points, comme autant de minuscules astres, ou de simples éclats de verre, à ceci près que nulle lumière venue d'en haut ne les faisait briller. Ils brillaient d'eux-mêmes, ou du pouvoir de l'Etre.

  Medrawt n'avait pas peur. Rien n'était inquiétant à ce moment précis.

  La Créature sourit. Elle lui apprit une chose qui ne se dit pas. Puis Elle
affirma:

  -"Ne t'inquiète pas, nous nous reverrons bientôt."

  Mordred rentra se coucher, dans cette horrible chambre décrite plus haut, et qui devrait inspirer autant de crainte que la scène que je viens de décrire (sans joie, car le fil du Destin prit un tour funeste et sans retour possible dès ce maudit instant -Maudit parmi tous les autres).

                                        *

  Le second âge ne s'achève pas ainsi, car je vous ai promis un tour sur le manège des amitiés mordrediennes.

  Les chiens, les mouches, les muets, les puissants
tous ont des amis à qui se confier
les planètes possèdent leur satéllites;
et si l'on crache à sa fenêtre il se trouvera quelqu'un pour râler.

Tout le monde a des amis.

  Mordret ne fit pas exception à cette constante
c'était un aérolithe
il traversait le ciel sans qu'on pût calculer sa route
mais il prenait le temps de s'arrêter.

  Parfois il s'arrêtait très longtemps,
en proie au Doute
ou pour concocter je ne sais quoi
ou parce qu'il était transpercé d'un Mal affreux
alors il vomissait lentement des scarabés rouges luisants.

  Et les gens trouvaient ça beau.
Allez savoir.

                                                   **

  Amicorum bestiarius



  Vers l'âge des poils précurseurs, Mordret devenait Mordred, et cela fascinait déjà. Les personnalités s'aglutinaient autour de ce Festin, car si Medrawt était un Breuvage, c'était aussi un Festin, de rois, de pages, de lombrics, de femelles de toutes espèces, enfin de tout ce qui se meut, avec ou sans grâce, car Mordred n'était pas élitiste comme certains autres
Chevaliers. Seule la Vie comptait pour lui, son sombre Pouvoir s'exerçant sur toute parcelle d'existence.

  Mordret se métamorphosait.

  Au marché il rencontra un jeune artiste au nom d'arbre qui ne pousse pas en outre-Manche, c'était folklorique. Ce jeune artiste avait la bouche très fertile, et une langue qui accaparait tout sans complexe. Il était haut sur pattes aussi, au contraire de Mordret qui, je ne l'ai pas dit, ne mesurait pas grand chose. L'artiste avait comme fol objet de mettre en scène les incongruités nées de ses activités oniriques, il était un peu poète également, et profanateur. Il y avait une rivalité entre Mordret et lui, pourtant il fut son premier suivant, jusqu'à sa trahison. En attendant il se battait avec des patates. C'était le meilleur à ce jeu-là. Son nom viendra plus tard.

  Mordret se métamorphosait.

  Un Noir vint à passer. D'une riche famille de Clients, ce jeune Nègre jouissait de nombreux Dons, les Muses ne l'avaient pas non plus épargné. Grand lui aussi et bâti pour le combat à  armes inégales, au-dessus de sa poitrine de marbre rayonnait un sourire à ployer les tournesols. Il était charismatique et enjôleur, rieur comme un nègre et ses doigts pinçaient les cordes avec une sagesse et une adresse un peu inervantes pour quiconque nourrissait l'envie de jouer à ses côtés. Malgré ça il était humble comme pas un Chinois. A quinze ans c'était déjà un Troubadour confirmé. Son père, un esculape, lui avait octroyé un prénom de prophète: Elie.

  Mordret se métamorphosait.

  Corotica mesurait itou bien plus qu'il ne sied à une Dame, heureusement ça n'était point une Dame, mais une fermière d'origine saxonne que ses parents nommèrent ainsi par souci d'intégration, bien que cette politique-là n'eût pas été connue en ces temps reculés de notre ère. Donc, les trois premiers Amis de Mordred étaient tous bien plus élevés que lui. C'est un détail trivial certes, mais anodin, je ne pense pas. Corotica avait de la gueule comme on dit, de clairs cheveux châtins, et une bouche faite pour cette pratique tant courue de la masculine gent. Comme dans les feuilletons amoureux quelque chose se passa entre notre Héros et cette femelle bien achalandée dès le premier échange occulaire. Une compréhension, un désir, une communion des corps spiritueux et des organes cachés, tout se mutualisa et s'imposa vite entre eux deux, bien que la consommation de ce potentiel attendît plusieurs années. Mais ils savaient. Ils n'était pas pressés. Il n'était pas pressé car il était déjà Amoureux. D'une autre. De la perfide Albion.

  Mordret se métamorphosa

  Albion était là. Sans être belle, elle savait jouer de ses charmes. Ses parents cultivaient des noix; elle hérita de ce patrimoine en excellant dans les noises, qu'elle trouvait avec grand talent. C'était une nana fort interessante, et très culitvée, pour une paysanne. Elle aussi savait lire, et tout comme pour Mordred, on ne sut jamais vraiment de quelle manière cela lui échut. L'un jeta sur l'autre son dévolu, et le Diable bénit leur union. Lors de leur ébat initial, qui fut une initiation pour les deux protagonistes alités, Mordred sombra dans une sorte de transe qui prétait beaucoup à rire lorsqu'il la racontait. A la lumière terrible des évènements que je connais aujourd'hui, je vois cette transe subite comme un prodrome de sa Malédiction; et je l'ai dit: le Diable bénit cette union de leur chair. Ca n'est pas innocent.

  Après avoir auprès d'elle attesté de sa virilité et projeté son flot depuis son membre testu, il se mit à Délirer. Il composa un poème que mon clavier ne peut retranscrire, car il était formé de lettres inexistantes dans les langues connues. Mais cela faisait sens dans l'esprit de Mordred. Ce "poème" existe aujourd'hui encore, il est gravé sur un bois que le temps a preservé de sa boulimie destructrice et rampante. La connexion d'avec le Funeste s'était engagée sous les yeux rassasiés d'Albion, qui bien entendu ne pouvait s'inquiéter raisonnablement de ce fléchissement spirituel de son amant.

  Le poison courait avec discrétion dans le corps alchimique de Mordret.

  Mordred s'était métamorphosé.

 
 

 

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