Je traverse des mers joyeuses et horribles
dans les jaspes fondus des tourbillons de l'âme,
derrière mes sillons fuyant dans le possible
s'oublie parfois le rire en un affreux vacarme.
J'étais trop jeune encor pour comprendre l'enfer
des roulis exaltants, flots de pleurs, de merveilles
qui fouettent les barques sous le linceul stellaire
mais je donnai mes yeux à ces vies sans pareil.
Dans les trous d'océan où nagent des lamproies
qui grattent la coque de leurs dents de cisailles
on est souvent saisis des terribles effrois
de finir aux tréfonds en offrant ses entrailles
Et puis des fois! putain! c'est la marée splendide
qui va et qui nous vient de ce tout, en-dessous
là où gronde l'horreur et fait surgir du vide
les mots des matelots morts, avant nous dissous
Dressés, gorgés d'embruns des postillons superbes,
roulant à cent à l'heure au-dessus de l'écume
qui rougeoie comme un derme excité par le verbe
on sent du bout des chairs qu'enfin on devient brume
Mais quoi, l'éternité exulte face aux hommes
elle pointe de son doigt veiné d'inconsistance
le petit bout de rien si fier face aux prodromes
et lui crache à la gueule son trop plein d'assurance
Alors le sang interne absorbe le béton
de l'onde ainsi figée, les albatros s'ennuient
dans un mur de silence où même les pontons
deviennent des langues muettes dans la nuit
La fin parait jouer sa mélopée languide
les voiles de nos peaux gonflent d'un ridicule
que l'horizon broyé atteste par son vide
et tout roule et tout roule, autour, les crépuscules
Qu'il semble loin le port! à jamais repoussé
c'est la terre qui fuit, ou l'esprit qui déhale,
au coeur de ces remous l'envie est émoussée
hormis celle de finir dans un gouffre idéal.
Mais j'étais un puceau lorsque le vent marin
a soufflé dans mon crâne tout conchié de folie!
j'ai signé ce voyage en me croyant malin;
dire que scintillent de longues embellies!
Et voilà que j'y suis, effaré, balloté
grisé sous la ligne des alcools d'innocence
à m'enivrer de vous comme des cruautés
qui me lacéreront de fines élégances!
C'est un cadavre heureux sifflant un petit chant
il apprend à aimer dans sa douce dérive
le final nocturne qui approche à pas lents,
ce silence infini bruissant près de la rive.