Il est des mots qui font un peu honte à la bouche, à qui l'on rechigne de faire franchir nos dents, tant on se demande si l'inculture de notre auditeur ne va pas propulser le dialogue auparavant bon enfant en étripage mal à propos.
Ainsi, à chaque fois que dans une phrase me vient la nécessité d'employer l'adjectif "putatif", je crains, de la part d'un homme, un marron, de la part d'une femme, un tarif trop élevé.
Putatif n'a rien à voir avec une prostituée à la capilarité débordante. Ni à une coiffeuse aux moeurs dissolues. Ce n'est même pas un qualificatif d'ordre sexuel. Je sais, c'est déroutant et pour tout dire: frustrant.
En fait, putatif est un terme de droit. Il sert à désigner un statut ou un bien dont l'existence est supposée, mais non prouvée. Il vient du latin médieval "putativus", "imaginaire". C'est un mot parfaitement honorable, et même digne: il n'a rien de trivial.
Je reconnais cela dit combien il est trompeur. Sa proximité phonique en fait un redoutable faux ami, ou plutôt faux ennemi, ce qui est bien pire. Rien que dans mon dico étymologique, il est placé entre "putain", qui vient du trottoir d'en bas, et de "putier", qui, venant de chez "pute", ne sent pas très bon, car c'était une professionnelle peu portée sur le savon.
Alors je cède souvent à son emploi détourné. Et puis, si je ne suis pas avocat, ça ne doit pas me priver du plaisir d'user d'un si vilain mot. Parler du talent putatif d'un artiste est une pédanterie sucrée dont je ne sais me passer, encore plus en présence du dit, et putatif, artiste. Mais le mieux est encore de le lancer tel quel, nu, sans fioriture, brut comme un direct du droit dans le tarboin: toi, t'es qu'un putatif! Soyez assurés que la personne visée, au fait ou non du sens de l'outrage, le percevra comme tel.