Il arriva un jour où, après que son père, ex-star de foot américain devenu journaliste d'extrème droite se fut suicidé, après avoir conditionné des couches en usine et promené dans des rues rectilignes les plus antipathiques clebs des plus grosses mémères de Washington, joué de petits rôles au théâtre afin de se payer sa bière alors qu'il rédigeait l'un des romans américains les plus puissants, blasphémateurs, anarchisants, séditieux et drôles que la fin du vingtième siècle avait encore à offrir au monde, et que les dizaines d'éditeurs contactés en eurent rejeté le mansucrit par la magie de leur dramatique inaptitude à reconnaitre un réél talent, bien que sauvé temporairement par une muse providentielle alertée par son mélodieux désespoir gratté sur le Pont des Arts à Paris, enfin révélé comme auteur et publié, puis retourné dans ses Etats-Unis nataux pour y combattre et dénoncer l'homophobie, l'obscurantisme, l'inculture criminelle et Georges Walker Bush junior -dont la politique inhumaine et belliqueuse, magnifiée dans la prison d'Abou Ghraib, en fut une incarnation dantesque- il arriva ce jour où, une cartouche de fusil qu'il avait lui-même tirée vint d'un trait définitif interrompre la luxuriante violence qui s'exprimait dans le crâne de Tristan Egolf.
Ceux qui ont lu "le seigneur des porcheries" verront qu'il s'agit là d'un odieux plagiat de sa première phrase, dont je rends à peine le dixième du souffle foisonnant et pénétrant qui nous saisit à sa lecture. J'eusse aimé que ce bon Vialatte en fît la chronique. Hélas. Les morts ne dressent pas l'éloge de leurs suicidés posthumes. On sait cela.
John, le personnage du "seigneur des porcheries" vit au milieu des monstres de la profonde Amérique. Il est un monstre lui-même, mais à part des autres: monstre de misanthropie, d'intolérance, d'intransigeance, légèrement paranoïaque et de tempérament fanatique qu'Egolf oppose avec une triste jubilation à la méchanceté veule, gratuite et criminelle de ses contemporains. Cette histoire est celle d'une tempête organisée, d'un chaos méticuleux, de l'effondrement cataclysmique d'une petite ville de péquenauds post Allemands, bigots et arriérés, suite à la vengeance de son plus infortuné et persécuté autochtone.
Le roman porte ce sous-titre: " Le temps venu de tuer le veau gras et d'armer les justes", et je préfère me taire après cela, car tout est suggéré dans la flagrance d'une orchestration prodigieuse.
Mais pourquoi ce con s'est-il suicidé en mai 2005, alors auréolé de succés? Quelle question idiote, je ne vous remercie pas de l'avoir posée. Surement que Mr Egolf avait quelque chose d'urgent à faire dans l'autre monde, ou que la somme des atrocités perceptibles à ses yeux et à sa chair s'agglutina en un tel amalgame de souffrance proteiforme et obsédant que la perspective d'une éternité plate et homéostatique dans le néant lui parut plus raisonnable. Il ne faut pas oublier que Georges Walker Bush venait d'être réélu.
L'avènement d'Obama ne semblant aujourd'hui plus guère une consolation, on la trouvera dans la parution chez Gallimard du troisième roman, posthume donc, de Tristan Egolf, à savoir "Kornwolf". Que les vivants entendent.