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13 février 2011 7 13 /02 /février /2011 15:39

                      La Demi-Mesure

 



  Vlad était surexcité. Ses yeux énormes menaçaient de s'énucléer d'eux-mêmes. Ploc ploc. Je m'attendais à les voir rouler par terre. Je surveillais, au cas où. Il est géant, Vlad. Sec comme une baguette de la semaine dernière. Sec, crasseux et un peu puant, mais ça c'est commun à la moitié de mes potes. A 15h il tenait déjà une forme exubérante, la bouche grande ouverte, il arrivait pas à la boucler. Il tourne pas à l'eau, Vlad. Mais qu'est-ce qu'il tourne, putain! fatiguant. De mon pc à mon fauteuil à la fenêtre, tout ça dans un même et unique mouvement. Un quart d'heure qu'il est chez moi et il a déjà tellement raconté de trucs et brassé de vent que je me souviens de rien. J'aimerai le harponner au fauteuil, mais il bouge trop, impossible de viser.

  "Alors, la musique?! t'as des plans?

  "Non. Je cherche pas.

  "Moi je joue au XXXX et puis deux jours après au ZZZZ et la semaine prochaine...

  "Super, Vlad. Tu veux boire un truc? thé, café?

  "Allez, un thé, je dis pas non."

  Je vais faire bouillir de l'eau. Quand je reviens au salon, il a ouvert un petit képa sur ma table et écrase une poudre blanche avec une carte (ben tiens, je vois). Il fait deux traits à relier Paris-Bogota sans escale.

  "Vlad, tu sais bien que je prends plus rien...

  "T'inquiète Coco, j'ai deux gouttières!"

  Me voilà rassuré. Il aspire sa coke. PFFRRRT PFFRRRT. L'eau boue. Pendant que je suis dans la cuisine:

  "Putain, je t'ai pas raconté! L'histoire de ouf! tu vas penser que je suis taré!

  "C'est déjà le cas.

  "Non mais là, attends! Bon, tu te souviens de Cassandra? La petite meuf trop mimi avec de grosses loches qui me colle tout le temps?

  "Oui c'est vrai qu'elle est jolie, et qu'elle a des arguments qu'on rate pas.

  "Ben je sais pas si tu as remarqué mais elle a un vice: elle ramasse mille merdes dans la rue. Une vraie pie, et pas que le brillant, elle ramasse n'importe quoi, la moindre merde. C'est une artiste un peu tapée, tu sais genre arte povera, elle fait des machins, des sculptures avec tout et n'importe quoi du moment que ça provient d'ordures.

  "Je savais pas. Mais j'aime bien le principe, pas novateur, mais sympa.

  "Ouais, sauf que quand elle est sur Avignon, c'est moi qu'elle squatte, donc c'est chez bibi que finissent tous ses détritus d'artiste. J'essaie de trop rien dire parce que j'aime bien me la taper, mais quand même, ça m'encombre, je te dis pas!"

  Il ressort sa carte et recommence à broyer sa coke pâteuse. Il lève un oeil vers moi en guise de proposition muette. Muette dénégation. Il reprend:

  "L'autre soir, en pleine nuit, je sais plus, ça lui pète, elle sort faire la tournée des déchets. Et putain, elle reste un bail dehors, tellement que j'ai le temps de m'inquiéter tu vois. Cette conne avait laissé son tél chez moi.

  Je siffle.

  "Va au bout s'te plait, je décroche là.

  "Bon ça faisait deux heures, j'me dis ça craint. Je sors des fois qu'il lui soit arrivé du vilain. Je vais gratter dans les coins où y'a des tas de poubelles. Et ouais, je la vois devant une belle petite décharge de rue, avec à ses pieds des cartons tout cons, sauf que ça faisait style poupée russe, y en avait cinq ou six chacun deux fois plus petit que le précédent, et tout bien rangé par ordre décroissant. Là je me dis, putain elle a vrillé total, en plus elle était carrément émerveillée, limite en transe, elle lâchait des petits 'oh oh!' comme si elle prenait son pied tu vois..."

  Ah les drogués, ils ont toujours de sacrées histoires, je me ressers du thé. Lui n'y avait presque pas touché. Pourtant la coke ça donne soif...

  "Vlad elle me fait, je crois que j'ai trouvé un truc dingue... regarde, et elle me montre c'qu'elle a en main... C'était en forme de tranche de courge mais brillant, comme chromé, tout étincelant. D'après elle, c'est ce machin-là qui avait multiplié les boîtes en carton, en en faisant des plus petites à chaque fois.

  "Mon pov' Vlad, faut arrêter les acides, t'es complètement barré".

  Il me renvoie un sourire, genre très sûr de lui, un peu provoc' et énigmatique.

  "C'est elle qui paraissait dingue, en plus de l'excitation, pas tranquille, quoi, comme si ça carburait bizarre dans sa cervelle. J'ai flippé, je l'ai ramenée chez moi. Sur le trajet elle disait rien, elle gardait les yeux écarquillés, et la main crispée sur sa courge chelou. A chaque fois que je lui parlais, elle répondait 'je comprends pas, je comprends pas...'"

  Je me roule une bien grosse clope, parce que je sens que la chute va faire mal, et qu'en plus ça risque de prendre du temps à venir.

  "Je me suis rappelé d'Hoffmann et de son intox au lsd quand il l'a découvert, tu sais on dit qu'il s'est bu du lait, que c'est un anti poison, donc j'ai fait chauffer du lait.

  "Du lait chez toi? T'avais baisé une vache la veille?

  "Très drôle. Tu sais elle parlait toujours pas, et quand je lui demandais si ça va, elle me fixait un moment avant d'me faire 'oui, oui', ou pour le lait, quand je lui propose, elle me fait 'ok, ok'...

  "Tripée, quoi, la cervelle trempée à l'acide...

  "Elle jurait que non! Mais surtout, elle répétait tout en double! C'était ça le plus étrange! Et sa courge là, elle s'y accrochait, putain! pour la lui faire lâcher il a fallu que je la cajole, que je jure dix fois de lui rendre! Je sais, ça parait vraiment con, mais j'ai testé tu vois, on sait jamais. Il me restait deux traits de coke et j'ai pointé la courge dessus...

  "Waa, vas-y, fais moi rêver. Il s'est rien passé c'est ça?

  "En fait, non. Mais elle elle était en boucle: 'Ca divise par deux, ça divise par deux'. Je lui ai rendue sa courge pourrie. Et là tu vas plus me croire...

  "Je crois bien que non.

  "Elle l'a pointée sur la coke et on s'est retrouvé avec un trait en plus, elle l'a refait, et encore un demi trait en plus. Au bout d'un moment ça faisait que des poussières. J'ai voulu la reprendre pour réessayer, en faisant un gros tas tu vois, pour contourner le problème de la division...

  "Ben, oui, pas con le Vlad.

  "Elle s'est jetée sur mon bras et m'a mordu!

  "Oui, deux fois."

  Il relève sa manche, et sur son avant-bras, on voyait, aussi nettement que deux sourires, deux empreintes de dentition qui avaient dû aller jusqu'au sang, et qui là, avaient commencé de cicatriser.

  "Faut dire que si ce machin peut tout diviser par deux, que tu t'occupes que de ta coke, et pas, au hasard, de la faim dans le monde, ou de la bite de Rocco Siffredi, du salaire du président, ça mérite bien quelques morsures, je la comprends moi.

  "C'était mon premier essai! Et puis ça a pas marché avec moi. Je lui ai demandé de faire ça sur un billet de vingt.

  "Et?

  "Ben ça nous a pondu un demi billet de vingt.

  "Ah oui, c'est con.

  "Je te le fais pas dire.

  "Ca faisait 'shlouf' à la création?

  Il rit.

  "Non. Après ça, elle s'est enfermée dans la salle de bain avec sa courge.

  "Logique, elle voulait des demi seins, un demi clitoris, un demi rideau de douche...

  Il fait une moue de dépit.

  "Presque... j'ai retrouvé un demi savon, un demi balai de chiotte... Mais elle en est sortie encore plus folle. Ses phrases voulaient plus rien dire, tous les mots par deux, les syllabes par deux. Ca me rappelait l'AVC de ma tante. Son centre du langage avait fusionné quoi. Et elle s'est tirée! en laissant sa veste et tout, elle s'est tirée comme ça, d'un coup en sortant de la salle de bain! J'ai voulu lui courir après mais elle bombardait! Elle courait deux fois plus vite que moi! Je suis remonté et j'ai regardé dans ses poches et il y avait un mot qui disait, et pas écrit de sa main, je te jure je connais son écriture, un truc genre: 'c'est une demi mesure, ça peut diviser par deux, ou multiplier'. Multiplier!!! Tu te rends compte! Elle me l'avait caché!

  "Ou elle y était pas parvenu. Ou elle l'avait pas lu, ou je sais pas moi, ouais, elle te l'a caché. Déjà faire un double à demi, c'est pas mal... Tu l'aurais peut-être butée sinon...

  "Tu parles! J'ai pas pu m'en servir, y'a qu'avec elle...

  "Ouais, tu dois être trop bête. C'est vraiment dommage, tu aurais pu  devenir deux fois plus riche que Bill Gates, faire une planète deux fois plus grosse que Jupiter , être deux fois plus intelligent, avoir quatre cul, ou un cul quatre fois plus gros (ça lui ferait pas de mal, il a un cul
minuscule!), baiser deux fois mieux... Et t'as eu aucune nouvelle d'elle? C'est mort là?

  "J'aurais pu faire tout ça. Peut-être. Oui elle m'a envoyé un texto une heure après. Ca racontait que c'était trop craignos de tout multiplier par deux ou diviser, pour les idées, les concepts, que ça lui bouffait la pensée à chaque fois, qu'elle avait pas prévu qu'un pouvoir pareil existe et qu'elle s'en débarrassait définitivement."

  J'ai rigolé. Il a rigolé.

  Il m'a demandé comme une affirmation:

  "Tu me crois pas, hein?

  "Non, pourtant c'est le genre d'histoire que j'aimerais bien croire".

  J'ai raccompagné Vlad à la porte, et il m'a fait, d'un sourire complice:

  "Bye bye".
 

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12 février 2011 6 12 /02 /février /2011 16:29

  Connexion

 

   Et parfois
une ribambelle hérissée me déflore la bidoche
cortège de cris de heurts comme au cinoche
en émoi

  ça vient, ça part en grattant la dure-mère
qui coule
en foule
d'animaux hurleurs aux clameurs éphémères

  je dévide
cette bobine barbelée pour quoi je sais pas
envie de
sentir cette humaine déchirure de soap opéra

  les longues perturbations de la guigne
clodos, chats boiteux, peuple de la rue
qui jettent leurs rejets aux indignes
par le trou sentimental de mon cul.

 

_____________________________________________

 

  Vox populi

 

  Mille clowns malheureux
au maquillage erroné
rouge hyméné et blanc criminel
agitent un index faribolleux
et la mer reflue le même sel

  Ces clowns me lassent
leur parnasse, le panthéon
une cave frigide ou sous les roues d'un camion
que foutre?
leurs rires lourds me poutrent

  Alors que la mer reflue le même sel,
je n'amuse plus les gens du domaine
je me grève sur un sable bouillant
inquiétant pour les gens amènes
aux rires comme du fiel

  Et ces mille clowns conspirent
contre eux-mêmes
ces cons
est-ce ma faute si leurs désirs
sont bourrés de cérumen?

  Poids et morts
ils trainent sur mon sable désormais!
leur rancoeur de foutre compactée
mille petits crimes
contre leur propre sort

  Et la mer reflue ce sel
toujours, toujours
je la regarde
sûrement qu'elle est belle
et ce sel
et ce sel...

 

____________________________________________

 

  Fleur de fumier

 

  J'écris rien
ou tout comme
un amour un peu vilain
comme celui
d'une vieille pour son cadavre avorté sur pattes

  Sûrement que je devrais faire pousser des fleurs
c'est vachement moins malsain
et ça plait aux girls, à leurs mamans
même aux mecs qui se la jouent sensibles

  Alors que l'expression hoquetée
de mon impudeur
aux mots impropres
n'enrichira sans doute pas beaucoup la terre.

 

 


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11 février 2011 5 11 /02 /février /2011 10:48


                  Le Mal grandit


  "Enculéééééééééés!!! ENCULEEEEEEEES! Tu m'auras pas!! Tu m'auras pas!! Mais tu es le Démon, putain, le Démon!! Tu m'auras pas, BATAAAAAAAAARD!!"

  Ma voisine.

  "AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH!!!! FILS DE PUuuuUUuuuUTE!!!!!!!!!!!"

  En crise. Tonitruante. Un peu gênant au début, mais je vous jure, on s'habitue. On s'habitue à tout, nous, humains. A part au côté touchant, pathétique et effrayant de ses visions, enfin moi, j'ai du mal. Apparemment les autres voisins, ça va.

  "Aaaaaaaaaah... Aaaaaaaaaah...Aaaaaaaaaah... Aiiiiiiiiiiie".

  Un temps.

  "Aiiiiiiiiiiie..."

  Trois mois qu'elle habitait quelque part dans ma rue. Où exactement? Je savais pas. J'avais bien ma petite idée, à force de passer ma tête et mes oreilles à la fenêtre pour étudier d'où venaient les hurlements, plaintes, imprécations, râles de douleur, insultes. Y avait bien un appartement presque en face du mien, avec un petit plan d'herbe devant la vitre, qui me semblait être là où tout se déroulait, mais pas vraiment de certitude, ça restait un petit mystère.

  Les premiers temps, je faisais pas trop gaffe, je percevais des éclats de voix, comme un couple qui se déchire:

  "Fils de pute!! Tu crois que je vais te laisser faire? (...) Lâche-moi! Mais lâche-moi, putain! Laisse-moi tranquille!"

  Et puis des pleurs.

  Bon. Jamais de casse. Des cris, un peu, mais surtout des gueulantes. Pas de coups, pas de corps qui tombe, ou de bris de rien. Les couples c'est la merde, j'aime pas m'en mêler. Comme tout le monde dans ces cas-là, je faisais comme si de rien. En plus, on entendait qu'elle, jamais lui, alors au fond, c'était peut-être lui le mec battu, ou harcelé, maltraité, dur de se faire une opinion. Laisser pisser.

  A force d'avoir à faire à une voix unique, j'en suis venu à la conclusion que ma voisine devait se prendre le bec avec un ex au téléphone, ou que son mec était loin, donc que ça me regardait encore moins.

  Et puis petit à petit le théâtre a changé de forme, les récriminations devenaient plus courtes, moins argumentées, ça faisait moins scène de vie. Ca s'était mué en insultes, juste des insultes, mais à s'arracher les muqueuses de la gorge.

  "ORDUUUUUUUUURE!!! PEDE!!! PEEEEEDEEEEE!!! ENCUUUULEEE!!!"

  Souvent c'était très rythmique:

  "ENCULE!!!!ENCULE!!!!ENCULE!!!!ENCULE!!!!ENCULE!!!!ENCULE!!!!ENCULE!!!!"

  Je pensais à un syndrome Tourette. Cette pathologie où les gens éructent des flots de jurons ou d'onomatopées sans aucun contrôle.

  "ENCULE!!!!ENCULE!!!!ENCULE!!!!ENCULE!!!!ENCULE!!!!ENCULE!!!!ENCULE!!!!"

  Surtout, la fréquence allait croissante. Le volume aussi.

  Mais il a fallu que je revoie mon diagnostic le jour où cette déclaration frémissante a traversé la rue:

  "Putain mais MERDE! Même quand je suis cool j'ai des réactions intérieures!"

  Schizophrénie. Là on est entré en plein Lautréamont, ou Dante, ou Blake. Ma voisine était une psychotique, avec tous les symptômes afférents: paranoïa, hallucinations, idées délirantes.

  "Me regarde pas comme ça! Nazi! Espèce de naAAAAaaaaazi!!! Ah tu fais le fier!! Tout le monde ne t'appartient pas!!! Putain mais y'a rien de bon en toi! Rien! Tu te crois le maître du monde?!! t'es plus humain! Y'a plus rien d'humain en toi! t'es qu'une merde! une merde, t'entends! tu es le Mal! Enculééééé! Tout le monde t'appartient pas!!!"

  Avant et après, en préambule et en prologue, c'était des gémissements à tirer des larmes à un ciel sans nuage:

  "Aaaaaaaaaaah... Aiiiiiiiiiiiiie..."

  Moi franchement, la musique bien fort ça me gênait même pas pour écrire, ni pour me branler (si, pour ça, un peu en fait) et même, je lui piquais des semonces pour les foutre dans mes poèmes; sans le côté humain de la chose, je pourrais presque dire que j'aimais bien. Mais je craignais un matin de la trouver sous forme de tarte tatin sur le bitume, juste en bas de chez moi, et là, j'avais pas du tout envie de vivre avec ça. Alors, égoïstement, j'ai appelé les instances municipales. Je connaissais pas trop les procédures, alors j'ai fait à l'instinct, au petit bonheur la chance.

  L'hôpital m'a envoyé chier. Faut contacter les pompiers, c'est à eux de gérer ça. Ah. Les pompiers, bien plus gentils, m'expliquent que, ben, tant qu'elle fout pas le feu chez elle, y peuvent rien faire, à part aller lui vendre un calendrier, à Noël. Ok. Faut voir les flics. Allo la police? Ne quittez pas... "Oui, on comprend bien, c'est un acte civique d'accord, c'est pas pour vous plaindre, mais non, si elle attaque personne, on peut rien faire". En fait j'aurais dû dire qu'elle m'empêchait de me branler tranquille, là ils auraient peut-être daigné bouger leur cul. Trouble à l'ordre public c'est plus grave que trouble psychique profond. Ok. Faut en parler aux urgences psy, eux, c'est leur boulot. Bien. J'appelle. J'expose le cas.

  "Qui êtes-vous pour cette dame?

  "Son voisin.

  "On peut rien faire.

  "Il faut être le frère ou l'oncle d'une personne en détresse et habiter la même rue pour lui venir en aide? Ca limite les situations quand même...

  "Ca fait combien de temps que selon vous cette personne est en souffrance?

  "Depuis des mois, c'est allé en s'amplifiant."

  Là, je me suis carrément fait engueuler. Et pourquoi je m'en occupe que maintenant? Quelle est ma raison? C'est quand même louche! et qui je suis pour oser faire un diagnostic d'épisode psychotique!

  Et merde. Allez tous vous faire bouffer par ses démons, ses monstres nazis, ses démangeaisons internes, les hydres qui peuplent sa tête et sa maison, et quand je la retrouverai en lasagne sur le trottoir, je vous enverrai des petits bouts de sa cervelle sous film plastique. Ca fera pas jurisprudence mais je vous emmerde.

  Elle, elle subissait de plus en plus les assauts de ses abominations mentales, à toute heure, de plus en plus hallucinée, de plus en plus fatiguée, de plus en plus geignarde, de plus en plus au bord du gouffre, avec ses atrocités véreuses (elle hurlait souvent qu'elles l'assaillaient du
dedans) et toutes puissantes qui l'appâtaient vers le fond du ravin en agitant un ongle décharné.

  Moi aussi ça me rongeait.

  Et qu'est-ce que je pouvais faire? Sonner aux portes et demander: "C'est vous la tarée aux nazis chatouilleurs?"

  Ca me semblait pas très efficace.

  Alors je cherchais des conseils n'importe où. J'en parlais à droite et à gauche. Je faisais le récit de son tourment à des gens, comme ça, en quête de la bonne idée que j'avais pas eue. Au serveur du RADAR, à des cons, à des moins cons, à des types bourrés, à des types sobres, à des conquêtes, à des non conquêtes...

  Un soir un gars vient me trouver devant le RADAR; je fumais une clope. Jamais vu ce type avant.

  "C'est toi le voisin de Marine?"

  "Hein?

  "Marine, la fille qui gueule un peu des fois, t'es son voisin?

  "Heu, oui.

  "Je voudrai savoir quelles sont tes intentions avec elle.

  "Mes intentions?"

  J'aimais pas trop son ton, à lui, ni sa façon de me fixer dans les yeux. Pas clair ce gars.

  "J'ai aucune intention, et si j'en avais, j'aurais pas à les expliquer à un inconnu. Cette fille souffre, c'est ma voisine, point.

  "Ouais, ben je te demande ça parce que des voisins lui ont déjà fait du mal à Marine, et moi je l'aime Marine, je l'aime comme un dingue, et je veux pas qu'on lui fasse du mal, ok?"

  Une dingue aimée par un con qui l'aime comme un dingue. Bien partie leur histoire. Mais comment il avait pu apprendre que j'habitais dans la même rue? Enigme. Enigme à la con, mais énigme.

  "Ok."

  Je suis retourné dans le RADAR. J'ai oublié ce débile, mais évidemment pas le calvaire de mon inconnue.

  Les jours ont passé. Tantôt avec des crises, tantôt sans, avec intermittence.

  En me pointant au RADAR, moins d'une semaine après l'entrevue avec la lumière amourachée, le patron me questionne, l'air très sérieux malgré ses yeux flottant dans le pastis:

  "Ben, dis-moi, c'est vrai que t'as fait interner ta voisine?"

  (QUOI?????)

  (En effet, ça faisait un petit moment que ma rue était calme)

  A une table je vois le Roméo dégénéré de l'autre fois. Ok! Je comprends: le zélé Casanova prix Nobel d'enquête judiciaire était venu me pourrir ici-même, au RADAR, mon second logis.

  On s'explique dehors. Enfin, je lui explique. J'ai jamais dénoncé "Marine" -que je connais même pas- au syndic, ni même à la police, ni rien, j'ai appelé en effet pour lui venir en aide, mais tout le monde m'a envoyé chier.

  "Mais Marine est pas schizophrène! Elle a juste des coups de déprime, elle a besoin d'être entourée, d'être aimée! Et moi je l'aime, je veux vivre avec elle!

  "Comme tu veux. Je l'ai dénoncée à personne ta Marine."

  Bon, il est désolé, il va vérifier. Il se casse.

  En tous cas, il me fait de la peine lui aussi. Jamais j'ai vu un perdu pareil, il est perdu comme un débris dans le cosmos, comme un nougat dans une boîte de petits fours.

  Et ça reprend la guignolade! Le lendemain le paumé rapplique encore, accompagné cette fois-ci par un jeune zonard.

  "On sait que c'est toi, ça peut être personne d'autre."

  C'était l'autre inspecteur qui affirmait ça. Moins bête que le premier, mais givré: au premier coup d'oeil on sentait que lui aussi il vivait en collocation dans sa tronche.

  "Quelqu'un t'a vu aller chez les flics le matin où Marine a été emmenée!"

  Bâtard de mythomane. J'aurais dû les allonger tous les deux. Mais le premier inspirait la pitié, tout penaud, tout paumé, tout crétin, tout naze. C'est son pote qu'il fallait étriper, seuls à seuls, à l'écart. Lui et son chapeau écossais, ses airs de terreur des relais pour clodo et son pseudo
accouché depuis sa cervelle avortée: Danz, ou Zanz ou je sais pas quoi.

  Je leur ai hurlé dessus, et ils sont partis, en disant encore qu'ils vérifieraient!

  J'ai continué à aller au RADAR, normal, la conscience tranquille. Des mois plus tard j'ai recroisé le loveur obstiné. Il s'est excusé. Il m'a dit que Marine avait réintégré son appart' deux jours plus tôt. Qu'elle allait mieux.

  J'avais pas remarqué. De toutes façons, je connaissais même pas sa gueule à "Marine", alors... Mais le fait est, si elle hurlait plus, depuis ce jour-là, au bas de ma rue ça gueulait fréquemment:

  "Marine!! Marine!! Ouvre, c'est moi!! Marine, ouvre!!"

  C'était sa voix, à Casanova. Elle lui ouvrait jamais. Putain! il avait même pas réussi à se la faire!
   

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9 février 2011 3 09 /02 /février /2011 13:27

 

  Confrontation

 

  Toujours pas d'océan sous ces orbites
est-ce la débâcle des émotions?

  Pourtant dans la rue ces pavés pas carrés
des visages mal foutus

  Une périgrination lourde de serpent alcoolique
quelques flics pour veiller sur nous

  J'entends bien des notes de piano; tout n'est pas moche
loin de là! dans mes tripes gélifiées, ça remue

  Un peu qu'on peut y voir de quoi emporter
les voiles outrées du désir d'au-delà

  Ailleurs que dans la baise
de la perfection incarnée, malaise

  Et je vois, encore
et me déssèche

  Petit à petit ce vent embarque
des notions sur un navire empire

  Je crois qu'en fait
je n'ai rien à vous dire de crucial

  C'est foutu pour nous
les sortilèges à nous emboîter la machine sous des fils phosphorescents

  Putain! mes amours...
je n'ai pas obtenu EXACTEMENT ce pouvoir...

  La recherche n'est pas vaine
gratter la lune de ses ongles sales

  Elle est pas vaine
elle est juste très éloignée de l'idéal.

 

______________________________________________________

 

   Petite déception

 

  J'ai été dehors
liesse entourloupée
un sacré confiteor
ou j'ai tout loupé
à ça

  Comme j'en ai voulu
au monde
de ne pas être là
quand j'ai passé ma gueule
à travers

  Ma mère non plus
n'a rien compris
charivari
et poil au cul
des pervers

  Pourtant c'est chaud
les lignes des réverbères
greffés au sol
géométrie, univers
précieux

  Je vois pas pourquoi
ça ne suffit pas
inadapté
calamiteux absolu
absent

  Ma rage
aux dents, peut-être
mais quand les astres
plastronnent
pas vilain

  Eau, terre, feu
parois roses
mouillées
passage facile
et puis: rien

  Comme j'en ai voulu
au monde
de ne pas être là.

 

__________________________________________________

 

  En nuit

 

  Sans nuit
le pauvre, pauvre petit
qui gît
dans son jeu fielleux

  à encenser le vide
toujours gras et plein
comme dans cette nuit

  les formes stupides
accrochées en vain
au film qui s'enfuit

  Mais c'est
la nuit, l'oeuvre
de la pieuvre
essaie

  d'excreter le fluide
sur mon tissu engin
inutile ennui

  et je suis flaccide
autant que le malin
qui brille et me nuit

  Or gane
me palpite, pépite
mon crâne
agite pour rien

  d'autres calamités
inconnues et sèches
kalinité revêche

  mon chat est un chien
mon noir un blanc
mon tout, néant.

 

____________________________________________________

 

  Spiritu sancti

 

  Blablabla
force et mouvement
féroce illusion
salvatrice
de rien
dieu parle
c'est bien le seul
il se branle sur Nous
qui avons les mains tendues
déchirant notre petit corps flasque
de cette tension vers l'infini
trompeur comme un dentiste
et qui fait du bien
comme un dentiste

  parfois
la vie se manifeste
même devant le supermarché
sur nos papilles
aux confins de nos pensées grotesques
des lianes et linéaments
arborescentes, foutresque
théorie des cordes
la clodote dit un truc pas con
un saumon savoureux supure de gras
le Tout vient nous ensemencer
quelqu'un nous trouve
sympa

  Jésus
a crevé pour nous
son destin grandiose
Achille vécut son apothéose
et les peuples se conchient, sûrement qu'au fond
ils aiment ça

(pourtant je ne crois pas trop en l'Amour).

 

_________________________________________________

 

  Rugueux contraste

 

  En rapport
aux fleurs qui puent
Sans effort
ce monde tue
et autant
les détritus
dans le vent
crachent un jus

  Comparons
les mimosas, le blé et les rhododendrons
le cèdre et le chardon à cent volubilis
  catharsis

  Dans l'air pie
des sacs plastiques géants, des capotes mal nouées
et cartons anoblis, et cellophanes troués
  sois ravi!

  En rapport
aux quelques hics
un trésor
de symbolique
oui, creusons
aux fleurs fangeuses
un béton
de mort rageuse.

 

____________________________________________________

 

  Sonnet irrégulier sans rime (et débile)

 

    J'ai bu mon imperfection
scabreuse et striée du suif gluant
de ma race de champions, c'est beurk
suée de cent mille maquerelles

  jetées là par capt'ain Kirk
sous l'espace mystérieusement
si parfait alors que nous, poubelle
on trouvera bien un recyclage

  un camion ordure comète
aérophage, un golem de pus
pour pourrir les races supérieures

  peut-être que je bois trop
aux fêtes inutiles et indues,
dans la glace brille un étrange ailleurs.

 

 

 

 

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6 février 2011 7 06 /02 /février /2011 18:47

 

  Sonnet de la haine

  Qui m'a fait mauvais, impuissant
à aimer? je n'ai de profonds
sentiments que dans le sillon
de la colère et de son chant

  Je rêve de voir sur mon visage
au travers d'un miroir humain
l'expression d'un tout doux entrain
mais ce qui m'émeut, c'est la rage!

  Qui m'a fait mauvais, c'est vous? Toi?
ou le roulis faiblard, malsain
des molles gentillesses, leurs mains

  Sales et tendues, tournées vers soi?
je ne sais qui m'a fait mauvais
mais je chéris ce coeur crevé.

 

______________________________________________

 

  Hécatombe

 

  Ma courbe ascendante promet une belle
chute
quand tous les regards
se détourneront
quand j'aurai, comme tout un chacun commis
l'impardonnable
que je ne regretterai même pas

  Heureusement je verrai alors dans le bitume brisé
de mon banal parcours
une allégorie de quelque chose de nourrissant
pour les insectes
une histoire encore à ségmenter
dans un partage
sous l'orage de nos dissemblances infimes

  Me serais-je écrasé avec la grâce qui vous est dûe
entre deux queues
au supermarché, des destins à comparer
au poids du caddie
mes amis sont au défilé Tragique
ce que
les fleuves sont aux ordures envahissantes

  Il faut bien nourrir le présent
pour ensemencer demain
ce mouvement n'est pas négociable
bien qu'irritant, à la longue
j'accepte les cartes de fidélité
les coupons-réduction, les codes
preuve ébouriffante de notre humanité

  Mes amours
sont inquiètes, et les vôtres?
la couverture est chaude
les mythes décapités
la sensation du Tout parfois capiteuse, mais ça n'explique rien
peut-être ma carcasse fertilisera
des frères nécrophages

  C'est bien tout ce que je souhaite.

 

_________________________________________________

 

  Chant de la lutte

 

  Feu
mlle

Noir esprit fiché
répercuté entre tes ellipses de rimel

bouche parenthèse couchée

revois tes thèses anciennes poupée

ton enveloppe a de quoi souffrir
quelques souffles plaisants
et secs
vifs
contre toi je conspire
des concepts malsains
de langueurs

le soleil rogne ton aura
rageur
douce caresse griffue
par monts et par vaux
imperceptible cheminement
jusqu'aux fils issus de ton cerveau
chopés

plafond!

Comme tu es ...pratique
peut-être belle
toute petite montagne
molle et parcourue
irriguée, statique
sens l'escalade délicate de la hargne

qui te repousse
la nature en dedans

les dentelles sur ta nuque
fragile
injectent, étalonent dispersent ce
venin attendu
joli chaînon autour de ton cou

Nous y
sommes
en somme, voilà

je
saccade
mes
coups
hoquets
con
tenu
mouvements
miroirs
morcelés

Nous voici en géométries cassées
opéra d'une opération
sur carrelage glacé.

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3 février 2011 4 03 /02 /février /2011 15:55

 

  Ode

 

  Ils étaient morts
dans leur charpie géniale
au temps +1, sous mon regard animal
ils pourrissaient dans un chouette décor

  Les pins indifférents avaient saisi leurs os
et les ficelaient en multiples arabesques
ces araignées un peu grotesques
suçotaient leur cadeau

  Tout continuait
son expension, le dur béton
l'océan dilaté, les champs de maïs blond
une croissance inlassable continuait de régner

  Je n'étais pas triste
jamais mon corps ne trembla
au coeur de la nature égoïste
je ne hurlais même pas

  Ils étaient morts
tous
les bons, les méchants,
les grands auteurs, les plus modestes
les architectes, les commerçants
les vélocyclistes, les flics
mes parents, les géants, les petits
les monstres et les saints
en un fabuleux tumulus
nourrissaient la chair terrestre
peut-être était-ce mieux ainsi?

  Et Dieu me dit:

  "En tous cas,
inutile d'en faire un poème."

 

__________________________________________________

 

  Pshit

 

  Je vous les laisse
les lignes infinies qui perdent le ciel
les pensées frissonnantes qui donnent au corps
cette sensation d'être
pour quelque chose dans le devenir
de notre volonté blablabla
l'exultation
orgasmes et génies perforants
je vous les laisse
à votre bon coeur, votre bon usage
du cac 40 ou des dépensiers
usez-en selon votre bon vouloir, votre bonne soumission
à vous de voir

  Je garde ma bite
on ne sait jamais
des fois que dans un avenir proche
la terre me paraisse vide, que sur sa croûte
les chiens me semblent trop seuls à profiter du vent
que sous le ciel
les poissons y crèvent, solitaires
alors je ferai un ou deux mutants, des hydrocéphales
avec de bien gros yeux
pour globuler envieusement sur ce qui reste:
quelques ruines où des plantent serpenteront

  Je garde aussi
ma rage stupide et aveugle
des fois qu'un con s'amène
agressif ou mouillant
je saurai quoi faire.

  Mon inaptitude à écrire ce que j'ai sur le coeur
je la conserve, égoïstement
j'en ferai des confetti
sentimentaux
que vous comparerez aux vôtres
toutes nos poussières de pleurs constituées
bourgeoises matières qu'on retient au chaud
de l'incommunicabilité
foutre et postillons, crachins glavioteux et cervicaux!
cela sort bien de nos orifices
de nos offices
sans parole

  Pas de bol!
la rime est apparue
pour envelopper la mystique misère
et puis elle est partie, avec la métrique
pshit!

 

___________________________________________________

 

  Squelette désargenté

  Poil de vent sur mon crâne (idiot)
mort du temps dans mon âme (expulsée)
Et le vent et le temps et la mort
en paquet triple et bien noué
frétillent en reptiles désagrégés

  C'est ma pensée qui se tord
en suivant le craquement des volets (dehors)
ni mes ailes gluantes mouchetées
ni ma gueule impuissante, chienne,
ne forment un corps parfait (c'est parfait!)

  Alors le sort, turbide, le destin flacide
serpentent bien en rigolant de mes cheveux expulsés au vent
je suis la chimère sèche donnée au zéphir
aux sacrifices sans dieux concrets
pour une tâche absurde; mon sang est vif.

 

____________________________________________________

 

  Inutile étandard

  A poil, un peu de muscle sous la carne
j'ai préparé mon corps pour la guerre
en fait je suis à l'écart, derrière une lucarne
mon futur se prélasse sous un soleil d'hiver
 
  Ridicule, autant que l'essentiel de mes frères
j'arbore un panache, qu'on peu trouver obscène
et moi très lâche de ne pas user de ma haine
pour contribuer au déroulement des affaires

  Je n'ai pas véritablement renoncé
à accepter ma part héritée du drame
mais je dois lui trouver trop de charme
et il me suffit souvent de contempler

  Pourtant les duels
la marche du feu
le sang sempiternel
excitent mes yeux

  Oui, je m'en sens vivant
dans notre temps visqueux
un court instant
je me suis crû capable de bien mieux

  Porter le drapeau
d'ossements et de joies
définir les cibles, l'enjeu
d'un geste, faire fuir les faux rois

  je m'étais préparé pour une guerre
en négligeant les risques d'une paix sournoise.

____________________________________________________

 

  Thématique foireuse de la réciprocité

  Les périphériques sans fil explosent de notre carcasse
pour le bonheur
de mêler notre sang au gloubi boulga planétaire, corsaires!
de mers à l'horizon flou
qui titillent les globes spongieux
qu'on nous a fichés au milieu du coeur

  J'ai huit amis
une m'a supprimé pour une histoire de débardeur
je pensais les marins plus sérieux
plus techniques, mais je fais peu d'effort c'est vrai
pour correspondre aux critères
de l'amour ou de la haine, je ne prive personne de son libre-arbitre!

  La mode est à l'immolation, pour la masse
au sacrifice d'un corps si peu notable
quand il n'est pas revêtu de Prada
les preuves s'entassent, ô devenir misérable!
je me souviens auparavant que derrière les murailles
les grands avaient des notions stables.

 

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2 février 2011 3 02 /02 /février /2011 18:42

  1er signe de l'Apocalypse

 



  Le printemps nous fonçait droit dessus comme un météore que personne aurait songé à esquiver. Pitis oiseaux, gambettes indécemment sorties de jupes très courtes, bonhommie alentour, bref, pour une fois dans l'année, les êtres humains avaient l'air heureux de vivre, ou faisaient bien semblant.

  Vraiment, y'avait pas de quoi s'en faire: tout partout, promesses de joies. Même les boulangères étaient sympa.

  Je revenais du sport (ouais!), mon adversaire m'avait mis une tannée, mais c'était pas grave, j'avais bien joué, bien couru, toutes les petites hormones pour lesquelles je pratique dansaient la gigue dans mon corps exalté par cet effort louable. Y'a même une girly châtain en bottines qui m'avait lancé un sourire gratis, prolongé et appétissant au point que je sais toujours pas pourquoi je l'ai pas prise en levrette devant l'arrêt du bus où ça s'est produit.

  Sur mon passage les habituels Roumains essayèrent bien de me taper du pognon (oui, c'est sûr, en tenue complète, avec sac à raquettes dans le dos je fais un peu bourgeois, mais nom de dieu, est-ce qu'on va au tennis ou au jogging avec toute sa petite monnaie sur soi? je dis non, mais ça, eux, les Roumains et autres cloches, ils se posent pas la question), mais bon, ce jour-là, ils étaient bien guillerets aussi les Roumains, que je leur lâche des pièces ou non. J'en ai passé deux, trois, sur une vingtaine de mètres de trottoir.

  Croisement de la Poste et de la rue de la République, je tourne et face à moi un type gnomesque avec une veste en jean (ça se fait encore ça?), tout maigre avec le mal inscrit sur sa gueule, et l'air pas tranquille. Les jambes arquées, respiration coupée, on aurait dit un cow-boy halluciné prêt à shooter tout le monde dans la rue. Il essaye de farfouiller dans mon âme avec sa tronche de démon aux pouvoirs diaboliques, et puis comme je sais bien faire une sale tête moi aussi, il se braque nerveusement sur un autre passant. Ouf. Je continue ma route au pays de Candy.

  Je suis rentré chez moi, normalement, faire des trucs humains: manger, boire, écrire, péter, se branler, etc etc. Je me doutais de rien.

  Le lendemain, re sport (je suis l'alcoolo le plus sportif de la planète, ne vous en déplaise). Temps aussi magnifique, pas un brin de vent (ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille: Avignon + pas de vent = truc louche). Re retour des terrains, re passage devant la Poste etc. J'avais l'impression que les Roumains étaient un peu plus nombreux que la veille. En tous cas, si ils récoltent de la thune en proportion de leur masse salariale présente dans nos rues, dans six mois la Roumanie sera un Eldorado, et Bucarest la New-York du 21è siècle. Pas de doute là-dessus.

  "Non, j'ai pas un brouzouf, je reviens du sport! (GRRR)".

  Bizarrement je les trouvais moins avenants. Plus froids, moins cools.

  Au même croisement j'angoisse un peu de me retrouver de nouveau nez à nez avec le psychopathe tout en jean d'hier, mais non, coup de bol. Par contre je passe entre deux manchards tout pouilleux, l'un contre le bâtiment, l'autre au bord de la route, de sorte qu'ils me flanquent de gauche et de droite, presque impossible de leur échapper. Insensible à leur malheur, je trace. Celui de droite, au bord de la route, avait la face toute vérolée et rubiconde, mais pas par la bibine, ça ressemblait plutôt à des piqures d'insectes, des chenilles urticantes ou des araignées, enfin un truc dégueulasse.

  Devant la boulangerie où je m'arrête habituellement prendre du pain, ils sont quatre, un qui vend un de ces journaux "gratuits", un fiché dans le sol, entre une couverture vermoulue et un chapeau mou, une jeune avec un chien pas commode et le dernier scotché à la porte de la boulangerie, genre garde de Buckingham Palace, en moins impassible et qui mate tous les clients/nourriture prêt à se jeter dessus en bavant comme un clébard qui a la rage (une rage de faim). Ils se causent même pas entre eux, on dirait qu'ils se connaissent pas et qu'ils ont été lâchés là tout à fait par hasard, par quatre soucoupes volantes successives. Y'a pas, c'est un peu oppressant. On se sent bien coupable en sortant de là notre baguette sous le bras. Je me carapate dans mon domicile. La journée défile sans encombre notable.
  
  Au jour III j'avais plus rien dans le frigo, plus rien dans les placards. Cette situation n'étant pas tolérable (même plus de bouteilles!), je devais prendre les choses en main et creuser un peu plus mon découvert autorisé (bénédiction bancaire) au Carrefour City du coin. Toujours pas un souffle de mistral dehors, rien, une météo de Paradis stagnait sur Avignon, comme si Avignon avait été délocalisé 300 km plus loin. Dingue, mais savoureux.

  Sur la place au bout de ma rue tout une tribu de clodos et de gueux en tous genres faisaient leur office, courant après leurs chiens, invectivant quelques croquants, des bonnes gens qui essayaient quand même de pas marcher trop près de leur groupe. Ils étaient une grosse dizaine (peut-être plus!) façon cohorte de mercenaires à l'arrêt, de bandits mutants de grands chemins. Ils ne riaient pas. Un univers dans l'univers, mais le plus petit des deux se répandait sur le premier, le contaminait. A plusieurs pas on voyait des puces grosses comme des mouches sauter de l'un à l'autre zonard.

  Avant d'arriver à Carrefour City, j'en croise au moins cinq séries, des binômes, des trinômes, et à chaque fois cette bizarre sensation que ces gus-là ne se parlent pas, sont étrangers l'un à l'autre, les uns aux autres. Les mendiants et autres paumés des villes sont généralement moches, poussiéreux, puant la pisse et la vinasse, mais ceux-là c'était autre chose. Leurs yeux étaient un peu rouges, leur peau bouffie et bouffée par un mal rubescent inexplicable et ils paraissaient irrigués par une haine livide, aveugle et puissante. Mais tout ça était sûrement dans ma tête.

  Quoique. Le colossal vigile du supermarché, avec son 90D de muscles et son tee-shirt style emballage cellophane chouffait dans toutes les directions à la fois, absorbé et alerte, comme en apnée, en haut de l'escalator, prêt à repousser la possible invasion des sept ou huit cramés-clochards qui grouillaient devant l'entrée. J'avais crû reconnaître le mec en jean, de dos, au milieu du tas, mais pas sûr, et il avait filé.

  A l'intérieur du Carrouf, les petites vieilles ne levaient pas le nez du fond de leur caddie, speedées comme des fourmis, et ne se séparaient jamais de leurs formations de deux ou trois individus. A peine plus exagéré que d'ordinaire, mais là, ça semblait justifié. Les autres clients, jeunes ou quadras-quincas, s'adonnaient à leurs courses normalement.

  A mon arrivée en caisse, une rumeur descend depuis l'escalator. Du grabuge. On se jette quelques regards, clients et caissières (les vieux bronchent pas), mais personne dit vraiment rien, comme si ON pouvait nous entendre.

  Juste quand je vais prendre mon dernier sac, un type sérieux en lunettes, genre cadre bien payé lance (mais pas trop fort):

  "Ah, y font chier tous ces Roumains! C'est bien l'Europe!"

  Ca aurait dû initier un débat, ou attirer de fins commentaires sur la situation politique de notre beau continent, mais là, non: silence lourd.

  Le bordel parut augmenter en intensité, quelques éclats de voix. En haut des marches (je prends jamais l'escalator, ça me donne l'impression inexplicable d'être mort, une sorte de paquet sur tapis roulant), je compris le motif du chahut. C'était juste une scène hyper banale. Les flics et le vigile chassaient les inopportuns de l'entrée. Seulement un peu plus tendu que d'ordinaire. En fait, d'habitude, les clodos et autres teufeurs piercés vêtus de lambeaux de l'armée râlent, récriminent, rouspètent devant l'iniquité du traitement qui leur est infligé. Mais pas là. Ils faisaient durer, à la manière d'une manifestation écolo, ou un truc dans le genre où les types estiment être dans leur bon droit. Rebelles, quoi, bravaches, mais sans piper mot; quand un flic leur touchait le bras pour les lever, ils brandissaient un regard malsain, avec leur face vérolée et cet air un peu absent, ça avait quelque chose de stressant. Même la police parlait peu, on entendait des fois par-ci par-là:

  "Vous pouvez pas rester ici...", mais un peu timides.

  La lie purulente de la société se décida enfin à bouger, mais très lentement, les uns après les autres, avec des gestes comme englués dans l'éther. Ils se dispersèrent, le groupe se disloqua (alors qu'ils se séparent pas en général!) mais en infligeant de nouveau leur regard glacé et gorgé de sourdes intentions.

  Toujours pas de vent.

  Sur le retour, je croisai encore l'ombre du mec en jean, dilué dans un attroupement d'autres va-nu-pieds, mais une fois de plus, c'était fugace, pas moyen quand je me trouvai à leur niveau d'être sûr que ce fût lui.

  Au coin de ma rue, y'avait cette miséreuse bien touchante (parce que très vieille, la doyenne des crève-la-faim avignonnais) juchée sur son monceau de bouteilles en plastique (qu'en faisait-elle?) et ses ordures qui constituaient son bien, son trésor, son patrimoine. Quand on lui proposait de l'aider (elle dormait dans les pires endroits imaginables, presque dans son urine), elle se débrouillait, le moins aimablement possible de nous faire comprendre que notre commisération, notre charité, elle en avait rien à carrer; d'ailleurs jamais, jamais je l'avais vue tendre la main, elle croupissait dans sa dignité à elle depuis des années. Bref. A mon approche elle eut un mouvement de la face en ma direction, ses yeux me fixaient comme si j'étais le Démon déambulant, et elle, une exorciste sûre de sa force. A foutre les chocottes, n'avait été elle dont je connaissais le caractère pour le moins asocial et misanthrope...

  Quand même, en la dépassant, j'étais quasi certain d'avoir vu de ses orbites gicler, puis couler, deux longs noirs serpents, tout fins, comme deux fils de pétrole visqueux. Je fis des efforts immenses pour par me retourner, pour pas vérifier si ses trucs me suivaient ou non.

  Dans mon petit chez moi, tout allait bien, mon chat était strictement pareil à tous les jours. Mais j'avais du mal à penser à autre chose: les clodos, zonards, mendiants, traîne-patins de tous poils, ou bien c'était moi, ou bien ils se multipliaient! On en avait jamais autant vus dans la ville, et surtout chaque jour passant, ils semblaient pulluler un peu plus, comme si la misère rampante se reproduisait d'elle-même la nuit, par une sorte de parthénogenèse crasseuse et un peu miraculeuse. Ou bien ils venaient par wagons au petit matin, expulsés de je ne sais quelle ville alentour bien décidée à se débarrasser de sa vermine. Ils agissaient comme ça à Nice par exemple, où des camions allaient recracher les mendigots à plusieurs kilomètres, des fois y'en a un ou deux qui clamsaient sur le chemin du retour, exténués par la marche et déshydratés par le soleil... Technique d'épuration qui convenait bien aux commerçants et à leur clientèle. Bref, ici en tous cas, c'était apparemment pas la même histoire, vu qu'on les retrouvait bel et bien là au matin, à midi, l'après-midi et le soir.

  Jour IV

  Mon pote tennisman m'a laissé un message: le zef est tellement moribond que ça serait vraiment con de pas en profiter. Ok. Je passe ma tenue de super héro des courts de "quick" et c'est parti (putain ces fringues se dégueulassent à une vitesse pas possible, surtout à l'endroit des poches où on enfourne nos balles pour les services à venir, à croire que ces balles sont en agglomérat de saletés, roulées dans la boue).

  Quasiment pas un bruit dehors, pas une voiture ne fuse sur le bitume de la rue de la Rép', à une centaine de mètres devant.

  Le seul son que je perçois, c'est l'affreux "CROUING CROUING" d'un virtuose de la guitare. Ce gars doit savoir moins d'accords que moi et gratter ses cordes avec un ouvre-bouteille en métal rouillé, sinon je vois pas comment il fait pour sortir un machin aussi inaudible de son instrument de musique.

  Pourtant il a l'air super pénétré de son art. Assis en tailleur sur le minuscule trottoir qui borde ma rue, ses longues filasses blondes recouvrant totalement son visage et sur ses épaules une liquette infâme et grise, on aurait dit Kurt Cobain himself, au concert Unplugged MTV. Un chouilla de talent en moins, quand même.

  Quand je suis plus qu'à cinq pas, il pose sa guitare (enfin!) et sans remuer la gueule, chope et me tend une tasse où il doit espérer que je vais laisser une offrande. Le tout avec une telle majesté impérieuse de loqueteux qu'il semblait pas imaginable de dire non. Ca devait pas mal impressionner les gens ces manières-là, moi-même je me sentais obligé de réagir. Je sors la rengaine quotidienne:

  "Je vais au sport là, j'ai pas de thune sur moi, désolé".

  Le mec, il bronche pas, imperturbable avec son poing et sa tasse tendue, en un genre de black panther revendicateur et bien sinistre. Je dis rien, je passe.

  "GrrrRRRmmmRRRMMMRrrrrrgmmmmmM..."

  Si il veut grogner, qu'il grogne, ça me ferait même rire un peu. Et puis j'entends un mouvement super subit. Le temps de faire volte-face pour être bien sûr qu'il me sautait pas dans le dos, j'entends un gros:

   "BAMCRAC"

  Ce con venait de détruire sa guitare au sol! D'un coup, comme ça! Il était debout, les jambes arquées, avec le manche de son défunt instrument en mains, la caisse défoncée au sol à ses pieds. Putain! un névropathe!

  Et il restait là, secoué par une respiration de monstre, avec les mugissements rauques et tout.

  J'avais toujours pas pu apercevoir ses traits derrière la tignasse en rideau. Mais j'étais à peu près certain que deux trucs rougeoyaient sous l'écran de tifs sales, à l'exact endroit des orbites.

  Même s'il n'engageait aucun pas dans ma direction, je trouvai plus sage d'accélérer le mien et de plus me retourner vers ce dangereux taré.

  En fait, la rue de la République était pas du tout déserte, et plus j'en approchais, et plus je percevais de bruits de marche, et comme un bourdonnement guttural... Une fois au bon niveau, je vis qu'en effet divers groupements de quelques individus avaient envahi la chaussée. Ils étaient en réalité des légions! Tous se dirigeaient vers un endroit, à main gauche, mais qui me restait caché tant que je débouchais pas directement dans la rue. Y avait aussi une drôle d'odeur qui allait en s'amplifiant, genre exhalaison putride d'un monticule de rats crevés.

  Ils étaient plus de cent ou deux cents! massés en rang bordélique de chaque côté de la Rép'! Tout ce qu'Avignon compte de rebut moisi, de SDF miteux, decharognard affamé et de soûlard matinal était là réunis, avant midi, rangés en deux armées chaotiques. Mais ils menaçaient pas ouvertement, ils hurlaient d'ailleurs pas, seule une sorte de hululement fantomatique s'échappait de la double meute.

  Quelques gens normaux avançaient aussi dans la rue, mais un peu pétrifiés, à pas vraiment mesurés, sans quitter la masse puante des yeux (ça sentait le ramassis de pouilleux à des dizaines de mètres à la ronde).

  A chaque passage d'un ou deux gars "normaux" la foule grouillante entonnait le même:

  "HOUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUU..."

  Quand moi aussi je dû les franchir:

  "HOUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUU..."

  Carrément, les fourches caudines. Mais la chose vraiment anormale, c'était leur visage! La chair rognée, comme brûlée par je ne sais quoi, et tous avaient la tronche trouée par deux détritus rouges ou verts, tout luisants, sûrement gluants et chlinguant la pourriture, à l'exact endroit des orifices dédiés aux yeux.

  Mais enfin bon, ils attaquaient personne, juste ils nous fichaient la honte et bien la trouille aussi, avec leur face infernale.

  Je suis quand même allé faire mon tennis, parce que c'est important pour la santé, et que ne pas se bouffer de mistral autant de jours consécutifs, c'est suffisamment rare pour en profiter pleinement.

  Je menais 4/0, service à suivre. Imperdable. Et puis je me suis rappelé de ce que je venais de voir et de vivre: très étrange cette affaire. Ca me quittait plus, la horde de monstres avait peut-être retourné tout le centre-ville, allez savoir! Je pensais plus qu'à ça, j'avais la sensation que la pestilence arrivait jusque sur nos terrains, et m'englobait en un nuage toxique de déchets et d'urine en particules fines. Je me suis fait remonter 4/6, et j'ai perdu sans plus faire un seul jeu, ni deux échanges consécutifs valables.

  Sans en comprendre la raison, j'osais même pas en parler à mon partenaire, qui lui, habitait à l'opposé du centre. Je dus craindre qu'il me prît pour un foutraque sans en tirer aucun bénéfice, vu qu'il m'aurait pas raccompagné à domicile.

  Je rentrai chez moi avec une pétoche de tous les diables, le ventre noué, et une raquette directement en main, au cas où. Ces nouvelles raquettes en graphite et tungstène sont bien plus solides qu'un crâne, y'a qu'à voir les joueurs pro qui s'y reprennent à cinq ou six fois avant de les détruire au sol quand leur colère nécessite réparation. Si un Roumain, ou un chépaquoi, y compris un que je connais, me sautait dessus, je comptais la lui enfoncer droit dans la tempe, pour vérifier ma théorie sur la résistance de ces matériaux.

  Des dizaines de gens fuyaient des remparts! Les mecs courraient comme dératés, les mères déguerpissaient en trainant avec vigueur leurs gamins en pleurs, et des vieux, à leur petit rythme, tentaient également de s'extraire de la zone de tout à l'heure. L'infection de puanteur purulente envahissait maintenant d'autres rues adjacentes à celle de la République et prenait à la gorge au point qu'on devait respirer dans ses vêtements qui ne tarderaient pas à être imprégnés de l'immondice, et bons à brûler.

  c'était une véritable émeute de pourriture sur pattes, enragée comme des paysans de la Révolution, balais à chiottes brandis, enfants déformés et à deux têtes, geignards, à bouts de bras, les unijambistes cassaient des vitrines avec de grands coups secs de leurs prothèses, certains dégobillaient des boîtes de conserve de ravioli périmées, données par les épiceries sociales (ils gerbaient aussi les boîtes! pas uniquement le contenu!) et au milieu de ce tohu-bohu de tous les démons de l'enfer, c'était certain, des types "normaux" se faisaient exploser la gueule. Y aurait des morts, si c'était pas déjà le cas.

  Pas fou et pas du tout héroïque, je contournai la bataille (aussi parce que pénétrer cette odeur était INIMAGINABLE) et rasai les murs pour rejoindre mon appartement, que j'espérais épargné par cette décharge de violence.

  Cloîtré derrière ma porte (qui ferme très mal...), j'attendais que ça passe. Rien ne passait, les sirènes de police vagissaient dans toutes les rues et le chaos putrescent continuait certainement de s'étendre, de toutes façons, c'était hors de question pour moi de sortir. J'attendais.

  Le soir aux infos locales, j'appris qu'ils allaient envoyer l'armée pour nettoyer tout le merdier. Le gouvernement prenait les choses en main, vu que le maire était tout à fait dépassé par l'ampleur du phénomène, autant qu'un gosse de trois ans face à un cabinet qui déborde soudain de toute ses déjections.

  Ca a tiré à balles réelles pendant quelques heures, les hélicos vrombissaient au dessus des toits (ce qui déployait un peu plus à travers la ville l'arôme d'organes avariés qui s'infiltra alors jusque dans les conduits d'aération), camions de l'armée, chars d'assaut, rien ne fut laissé au hasard pour rendre la ville aux bonnes gens. Le massacre dura une bonne partie de la nuit, et au matin il fallut tout désinfecter avec des produits prévus pour les attaques bactério chimiques. Personne n'osa plus ensuite parler de cette histoire dans Avignon, bien que devant la plupart des boutiques ou bars furent installés des pédiluves afin qu'on se nettoyât les pieds aux agents chimiques. Motus. A part aux infos nationales où l'affaire fut très minorée: on raconta seulement que les égouts avaient bien débordé, tout ça dans un soulèvement de dizaines de SDF et de quelques familles pauvres émigrées d'Europe de l'Est qui furent dispersées au canon à eau.

  Le vent recommença de souffler sur Avignon.


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31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 12:17



              Le programme RIMBAUD


  Le truc le plus dingue qui me soit jamais arrivé a débuté par la situation la plus banale possible: j'étais en terrasse du RADAR en train de me faire rembarrer par une petite nana avec qui j'y allais trop fort dans le "rentre dedans". C'était une après-midi au temps indéterminé, y'avait peut-être bien du vent. Y a toujours du vent "en" Avignon.

  Alors que selon certains critères je me ridiculisais avec une pimbêche trop fière, je vois arriver Alien, un autre écrivain-poète du RADAR, lui aussi complètement chtraqué. Ses yeux de zombi insomniaque sont enfoncés très loin dans sa gueule, ce qui donne l'impression que ses mâchoires, toutes dents dehors, vont se jeter sur vous; il a vraiment une gueule d'Alien. C'était pas très gentil de l'appeler comme ça, mais il le prenait pas mal.

  "Ah Ben, je te cherchais!" qu'il me fait, à dix pas, en fonçant sur nous, la table, et la pimbêche. Il affichait un sourire abominable. On s'attendait la pimbêche et moi à ce que des vers luisants et des scarabées crevés s'échappassent de sa bouche, pour en fuir.

  En tous cas, il était super content, ravi de me trouver. Il avait dû découvrir la pierre philosophale ou un machin dans le genre. Il me tirait du merdier, et déjà, c'était cool.

  Une fois assis, il me raconte son histoire. Ca semblait tellement fondamental que même la greluche est restée pour entendre le topo.

  Un pote à lui, agrégé de lettres modernes était sur le point d'inventer une machine incroyable, plus que révolutionnaire. Un ordinateur voué à une seule fonction: écrire des poèmes.
 
  La greluche me demanda pourquoi une telle blague m'intéressait. "Moi aussi j'écris des poèmes". Elle explosa du rire le plus ironique et vexant qu'elle pût, nous traita de cinglés, ou de je sais pas quoi de plus djeun's et elle nous quitta pour aller se faire percer les tétons ailleurs.

  "Je te jure, mon ami en est à la fin de la programmation; faut absolument que tu voies ça, j'ai rendez-vous dans vingt minutes, tu viens?"

  C'est comme ça que je me suis retrouvé chez Ludwig. Un génie, un vrai, plus siphonné que Louis II de Bavière, et aussi grand, aussi classe, bref, aristocratique, avec une chevelure philosophique à refiler des orgasmes à toutes ses élèves, rien qu'en le regardant. Pour couronner le tout il nous accueillit comme des ambassadeurs: thé, café, vin, whisky, armagnac, cognac, petits gâteaux; y'avait qu'à se servir. Ca doit bien payer prof agrégé.

  Sa bibliothèque était un émerveillement. Rien à jeter. Et des belles collections avec ça! Intégrale d'Artaud, de Céline, Fante, Miller, Hemingway, Tool, Egolf... Aucun bouquin ou auteur véritablement contestable, que du bon goût! Des Pléiades, de l'édition originale. Pas un auteur un peu mineur ou sous estimé qui ne trouvât sa place dans ce panthéon: dès que je pensais à un titre, en cherchant bien, il y était, et classé par ordre alphabétique! A la limite du flippant.

  Bref, on s'est assis sur ses fauteuils en cuir, faire connaissance en savourant du thé de Chine. Musicalement, c'était la même limonade: sa cédéthèque comportait tout ce qu'on doit entendre chez un homme de qualité! Gong, Magma, Zappa, Ferré, premiers albums des Têtes Raides, du Grunge, Nina Simone, Joy division... Etourdissant. Il nous mit du Satie, Gnossienne numéro 1 pour commencer (là je remerciai Dieu que ce type ne fût point une femme parce que j'avais pas du tout prévu de tomber amoureux ces jours-ci).

  C'est Alien qui lança le sujet:

  "Alors, tu nous la montres ta merveille?

  "Ah mais c'est encore la genèse là, je lui fais bouffer des poèmes, les périodes et les mouvements, et y reste un peu à coder au niveau de l'adaptabilité, l'intelligence artificielle si on peut dire, sans vouloir paraître ronflant. Je voudrai arriver à quelque chose proche des ordinateurs quantiques, qui considère le principe d'incertitude, au-delà du binaire quoi."

  Sans trop se faire prier, il nous amena dans son bureau, presque aussi spacieux et confortable que le salon.

  Sur un grand plan de travail gisait une sorte de cadavre informatique éviscéré, intestins dehors, plein de fils hirsutes de partout, des barrettes de mémoires greffées dans toutes les directions et qui faisait plutôt figure de décharge que de machine révolutionnaire. Finalement ça avait bien la gueule d'un prototype, tel qu'on se l'imagine. Il alluma le bazar.

  Je hasardai une question bête, profane, de noob:

  "Comment tu t'y prends pour lui faire ingurgiter tous ces textes? Tu télécharges? ça doit prendre des heures rien qu'à dégotter sur le net!

  "Quand j'ai pas, oui, sinon je scanne ce que j'ai, il reconnaît les caractères et transcrit dans un langage informatique que j'ai créé pour lui. Pas besoin des oeuvres complètes pour qu'il assimile la technique d'un poète et la mécanique de son écriture. Quelques textes bien choisis suffisent".

  Tout dépend ce qu'il appelait "bien choisis", mais vu la tronche, je me suis dit que ce point n'était pas si rédhibitoire qu'il avait l'air.

  "La semaine dernière j'ai fait Shakespeare, Byron, Blake, les haïku et senryû, Là j'ai fini Aloysuis Bertrand, Lautréamont, Baudelaire, Rimbaud. Il me reste les modernes avec quelques Surréalistes, des Russes comme Tsvetaïeva... Les seules oeuvres que j'ai tenues à injecter sans en omettre un vers sont l'Iliade et l'Odyssée, comme on dit que tout est contenu dans Homère! Enfin, j'ai bon espoir d'avoir achevé dans trois ou quatre jours."

  Mais y avait encore rien à lire du plus grand poète de tous les temps, Ludwig refusait de lancer ne serait-ce que la composition d'un tout petit haïku de rien du tout tant qu'il avait pas fini ses études. Et puis il manquait aussi un peu de programmation. S'agissait d'être patient.

  Fin du jour I.

  Le lendemain c'est Ludwig qui m'appelle directement, en début de soirée. Il me propose un apéro et me dit qu'il a bien avancé, qu'il veut me faire voir quelque chose. Vu l'armoire à alcool, un apéro chez Ludwig ne se refuse qu'en cas d'hospitalisation ou de traitement aux antibios. Je dis oui.

  Les détails concernant l'adaptabilité ont été réglés. Le Programme Rimbaud (c'est le nom du projet, un peu nul selon moi, mais c'est un nom temporaire) est capable de remplir des grilles de mots fléchés, de mots croisés et de corriger des alexandrins boiteux, ou octosyllabes, ou n'importe quoi de métrique, sans perdre ni le sens, ni la beauté ni s'éloigner du style de l'auteur. Pour me le prouver, Ludwig scane trois grilles de mots et en moins d'une minute, je vous jure! son monstre avait tout rentré, sans une erreur.

  Ludwig et moi on est comme des fous, enivrés, exaltés, on trinque à son génie et aux futurs prix qu'il va recevoir grâce à son abomination.

  Ensuite il va chercher sur mon blog quelques uns de mes sonnets aux vers claudiquants (je suis expert pour ça) et plus rapidement que va mon oeil pour décider si une fille a un joli cul ou non, Frankenstein souligne les maladresses. "Make correction" (pourquoi il a mis le nom de ses commandes en anglais?) et voilà, paf, mes sonnets passent pour du Charles ou du Arthur sans mourir de honte devant la comparaison, du lait sur de la crème!

  J'ai l'impression de voir la naissance du machin qui nous reléguera tous au rang de fossile de stylo bille, la conception de la première bombe atomique littéraire, c'est angoissant et hyper excitant en même temps. On se prend grave au jeu, on fait corriger tous mes poèmes, le résultat est effrayant de justesse. Je me sens un rien vexé, mais bon c'est un ordinateur, bordel! Normal qu'il soit plus malin que moi, y'a pas à se mortifier, moi j'ai ma souffrance, lui c'est que des circuits imprimés, gorgés de fulgurances mathématiques.

  On a fêté la mort prochaine de tous les poètes et romanciers en torchant tout son armagnac. Puis une de ses élèves est passée chez lui, très sexy, jupette, bas et tout le tremblement. Ludwig voulait que je reste (pourquoi faire??), mais d'une j'étais dans un tel état que j'aurais eu du mal à différencier les pieds de la table avec ceux, sous résilles, de la soubrette, et de deux, j'avais envie d'écrire sur la fin de la poésie, ça me semblait un thème valable. Je suis rentré chez moi composer une stupidité que j'ai pas sauvegardée.

  Fin du jour II.

  Gros trou noir.

  Fin du jour III

  DRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIINNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNNGGGG. Les banshees toutes ensemble un soir de victoire de l'OM sont plus supportables que ma sonnette. Nu et noir je vais voir qui ose.

  C'était Rachel. Punkette très mimi, bien qu'un peu surchargée, mais excitante, avec les "dents du bonheur" et une super bouche à imaginer des voyages maritimes, un bonheur de fellation, peut-être. Bref, elle était au bas de chez moi, toute pauvrette, avec son sourire à désarmer Tsahal.

  "Salut Ben, tu m'invites à manger?"

  Ben voyons. Comment une jolie fille fait-elle pour transformer un mammouth en colombe? En souriant, et en faisant pétiller ses yeux, avec des cils tout autour.

  "Monte." 

  On avait jamais baisé tous les deux, mais on s'était juré de le faire. en attendant on se bécotait parfois. Non, en fait, j'avais dit "un jour, on baisera PAS ensemble". Voilà ce que j'avais dit. Je trouvais ça subtil, plein de sous-entendus. Ca fonctionnait: on avait toujours pas baisé. En fait, elle écrivait aussi (à croire qu'on écrit tous au RADAR) et elle lisait beaucoup, avec une bonne vision de la chose. Un oeil fiable en matière de poésies et de romans. Rachel avait même été publiée dans son adolescence pour des nouvelles super trashs.
 
  "Pfffff j'ai pas une thune, ma meilleure amie me fait des coups de pute dans le dos, et mon mec me fait même plus jouir..."

  C'était un peu Cosette, Rachel, avec plus d'amants que Catherine M. A dix-neuf ans elle connaissait la queue de plus de cent mecs, voire deux cents, le compte donnait le vertige: à raison d'un par semaine depuis ses quatorze ans, ça devenait vite prodigieux. Mais nous, on niquait "dans le cerveau", c'était son expression.

  En bouffant les trucs pas moisis qui se trouvaient dans mon frigo, je lui racontai le délire du moment, le "programme Rimbaud".

  Ca l'éclate. Elle veut absolument voir "ça", en vrai, parce que j'ai beau lui dire que c'est pas des conneries, que la machine existe VRAIMENT, ben c'est quand même plus crédible de visu. je lui propose donc de venir avec moi, direct là, dès qu'on n'aura "pas baisé ensemble". Elle se marre, veut bien aller voir, mais pas dessuite, elle a un rencard, d'ailleurs merci
beaucoup pour le repas, mais là elle doit filer.

  J'avais quatre messages de Ludwig sur mon tel. Tout était prêt. Limite fébrile je prends mon cuir, des clopes et un rouge pas dégueu (histoire de pas abuser de la gentillesse de mon hôte) et je trace direction le futur prix Nobel de Poésie, à inventer pour l'occasion.

  La machine avait fait des progrès. Pas qu'en poésie. Elle était plus présentable, plus ramassée, avec des caches sur les circuits. Et surtout, chose étonnante, elle possédait désormais un réservoir avec un liquide brunâtre à l'intérieur. Ludwig semblait s'être shooté avec toute la coke disponible sur Avignon. Ses yeux turgescents manifestaient l'envie d'exploser.

  "Alors, que je demande?

  "Assieds-toi."

  Je m'assieds.

  "Ô Le Plus Grand Poète De Tous Les Temps, peux-tu composer un pentasyllabe sur..." Ludwig me lance un regard qui appelle à la rescousse, mais comme je bronche pas, il enchaîne "...sur la fuite du temps..."

  Je relève:

  "Ô Le Plus Grand Poète De Tous Les Temps?"

  La façon dont son regard effaré vient se planter dans mon ironie me fait comprendre que c'est pas le moment de la ramener. Je patiente.

  Deux minutes de crissement de silice et de GRRR GRRRR mécaniques plus tard (le liquide est un peu descendu aussi) et Le Plus Grand Poètes De Tous Les Temps déclame un pentasyllabe sur la fuite du temps.

  C'est tellement beau et poignant que Ludwig et moi on chiale comme des gosses à qui a retiré leurs cadeaux de Noël. Sans déconner, Léopardi et son Infinito à côté, c'est une blague Carambar écrite sous amphétamine. On refait l'expérience trois ou quatre fois, sur des thèmes différents, et ça loupe pas, Le Plus Grand Poète de Tous Les Temps nous met sur les genoux.

  "C'est quoi le réservoir? Du jus de Muse?

  "Oui je bois ET ALORS!!!???"

  J'en reste coi. Ludwig est complètement dépassé. Il m'emmène à côté pour parler seuls à seuls.

  Le Plus Grand Poète De Tous Les Temps voulait une petite nana. D'après Ludwig, il avait compris que nous les êtres humains on faisait de la poésie juste pour ça, donc y'avait pas de raison, lui aussi il en voulait une.

  Je rassure Ludwig, j'en ai une sous la main, Rachel fera parfaitement l'affaire. Je lui envoie un texto. Elle va venir.

  Ludwig, Le Plus Grand Poète De Tous Les Temps et moi on a discuté une bonne heure, en tombant deux portos, avant que Rachel n'arrive. Le Plus Grand Poètes De Tous Les Temps hachait les mots comme tous les programmes avec une fonctionnalité vocale, mais ça restait supportable dans le dialogue.

  Une fois avec elle, Le Plus Grand Poète De Tous Les Temps réclama de rester un peu seul, sans nous deux. Ce qui se comprend. On est allé se tasser à côté. Pendant un bon moment, on a devisé sur le futur, sur les monumentales intrications philosophiques qu'une telle invention causerait sur le devenir de l'homme. Sur la pensée, la conscience, l'art, l'argent, et putain! y'avait de quoi attraper le tournis! D'ailleurs Ludwig était tout à fait saoul, il tenait à peine ses coudes sur ses genoux. Ce qui nous a fait réagir ressemblait aux râles de quelqu'un qu'on étouffe.

  Dans le bureau, Rachel était à demi nue, en train de se pignoler sans retenue dans la lumière glauque et lubrique de l'écran du Plus Grand Poète De Tous Les Temps. Lui, il susurrait des trucs pornos que j'aurais pas osé écrire, et à peine dire à une femme. Rachel n'arrêtait jamais, comme si elle ne parvenait pas à jouir mais qu'elle ne contrôlait plus ni sa main, ni son désir de se l'enfourner dans ses deux orifices contigus.

  Un peu gêné de troubler cette intimité, je m'avançai vers Le Plus Grand Poète De Tous Les Temps. J'avais l'impression qu'il voulait me dire une chose. Ludwig ronflait maintenant à angle droit avec le mur du bureau et le plancher.

  Sur l'écran du Plus Grand Poète De Tous Les Temps clignotaient ces mots de détresse:

  "J'ai pas de queue ni d'organe pour la toucher! Fais quelque chose!"

  Alors j'ai fait quelque chose. Bien sûr je devais baiser Rachel. La pauvre. Et le pauvre, de voir ça. D'être impuissant. Mais j'avais promis. Un jour on ne "baiserait pas ensemble".

  J'ai pris le réservoir et je l'ai vidé sur ses CPUs. J'ai déchiré et arraché tous les fils que je pouvais et balancé la tour par la fenêtre.

  Rachel dormait maintenant, sèche, le corps tout entier tordu comme celui des pires suppliciés de l'Enfer, décrits dans la Divine Comédie. Ludwig ronflait toujours.

  Sur l'écran, qui s'éteignait faiblement, était affiché, en rémanence:

  "Merci."

  Fin du jour IV et fin du Plus Grand Poète De Tous Les Temps.
 
 

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29 janvier 2011 6 29 /01 /janvier /2011 20:02

 

 
          Iliade, le retour d'Achille

  Charlie venait de réussir un coup somptueux. Il y eut des applaudissements. En se retournant, la queue à la main pour recevoir son ovation, l'extrémité de sa queue emporta un verre de bière, qui s'explosa au sol comme une bombe visqueuse. Nouvelle salve d'applaudissements. Le premier geste aurait dû rester dans l'histoire, mais à cause du second, rien n'était moins sûr. Ainsi va l'Histoire. En plus il était totalement interdit de laisser un verre sur le billard, pour cette raison-là justement, que c'est un peu risqué. J'avais pas vu l'exploit, je m'endormais sur un fauteuil après mon septième, dixième ou douzième verre de whisky, je savais plus bien, à part que j'avais commencé de boire bien trop tôt dans l'après-midi. Charlie alla chercher de quoi nettoyer son second exploit. Le Dj du RADAR passait Back in Black D'ACDC. Je supportais pas la voix de rombière hystérique de Brian Johnson, et encore moins leurs riffs pompiers, cette musique m'empêchait de draguer sereinement.

  Au moment où Charlie disparut dans la salle principale (le billard était déconnecté du comptoir pour plus de tranquillité), la musique cessa (cut), et le Dj gueula comme c'est la coutume dans ce rad:

  "CA SORT DE L'ESPACE!!". Normalement, il remettait le son juste après cette saillie, à moins qu'il ponctue l'arrivée d'une jolie gonzesse, là il ajoutait souvent: "Sans capote! sans capote!". Mais cette fois-ci, non, la musique reprenait pas. On entendit même une sorte de "oléééééééééé" général, et puis un brouhaha inhabituel. Et ensuite, des bruits sourds, des craquements, des tables renversées, des cris, des meufs qui hurlent, bref, de la castagne maison.

  Malgré ma flemme, ça me semblait valoir le coup d'y jeter un oeil.

  Je me lève, je descends les marches (en faisant gaffe parce qu'elles avaient été changées en escalator inversé, avec des mouvements latéraux, tout ça pendant mon demi-sommeil). Et puis oui, c'était bien une bastonnade de tous les diables, pire que la fois où un Arabe avait farfouillé dans la réserve (le RADAR est un bar très facho). Cyril, le gigantesque skinhead de près de deux mètres était étalé à mes pieds, la gueule en forme de pizza sans fromage, les jambes en V. Un tumulte de hooligans régnait. Les habitués volaient littéralement, les plus gros, bedonnants et musculeux, les petits et les nanas, eux, essayaient de faire corps avec les murs.

  Au milieu de ce chambard, un type incroyable, un Héros Grec, genre Achille en personne, A POIL! Beau comme un dieu et coulé dans le même moule que le mieux bâti des GI. Sa bite paraissait capable de tirer des rayons lasers. Il tenait dans une main aux proportions de gant de base-ball la queue de Charlie. Charlie lui aussi tutoyait les anges le cul dressé sur une des rares tables encore debout, la mâchoire au sol. Une petite minette se cramponnait à mes mollets, comme si j'allais la défendre du plus impressionnant guerrier depuis Rambo. Moi j'étais tellement pété que je regardais la scène comme dans un cinéma 3D, incapable de m'imaginer en danger. Ce type devait être un de ces légionnaires échappés du pub d'à côté, que le patron ne refusait jamais de servir, même quand ceux-ci devenaient psychotiques, ou se foutaient comme là, à poil. C'était vraiment un problème ça, toute les semaines y avait des cas, et ça finissait toujours dans le sang et les sirènes de police.

  Achille chopa le skin gigantesque par le bras (il était toujours dans les vapes) et le traîna comme un butin au dehors.

  Le bar ressemblait à un charnier avec des corps de partout, dans des positions pas orthodoxes, même pour le RADAR. On devait être à peine six ou sept encore conscients. La meuf n'avait pas retiré ses griffes de mes jambes, et ça commençait à me faire mal. Je regardai son visage, parce que j'avais pas capté qui c'était. Dans ses yeux ahuris je vis Juliette qui venait de croiser Roméo pour la première fois:

  "Il est troooooooop chou!"

  Comme je restais interdit elle ajouta:

  "T'as vu ses pecs? Des casques à pointe!

  "Des casques à pointe? Tu dois avoir un côté lesbien non assumé..."

  Elle se redressa, très digne tout à coup, visiblement love, et, gouvernée par ses gênes, sortit à la suite d'Achille, pour lui faire un enfant. Une timide brise de vie souffla dans le bar, quelques étripés reprenant leurs esprits. C'était le moment de se casser, et enjambant les détritus vivants, je pris la porte à mon tour.

  Sur le trottoir, Cyril, lui aussi nu comme un ver, avec en travers du ventre, la queue de Charlie, intacte. Orianne-Juliette virevoltait quelques mètres plus loin, en quête probablement de l'amour de sa jeune vie.

  Je rentrai chez moi, finir un mauvais rosé en m'endormant devant Excalibur de John boorman, qui même si il est très kitsch, reste une excellente version de la quête du Graal.

  C'est ma sonnette qui me réveille, toujours aussi atroce égosillement de moineau surdimensionné.  Je la hais cette sonnette. Et personne pour me proposer de la changer; je sais pas ce que j'ai fait au bon dieu, mais sûr qu'il peut pas me saquer.

  En bas de ma rue, ce que je vois me stupéfait. La berlue. Une scène de deux mormons en train de s'enculer contre le mur m'aurait moins fait cligner des focales.

  C'était Orianne et Achille. Main dans la main, comme deux jeunes mariés, sauf qu'ils étaient pas en tenue de mariés. Achille souriait comme un ange robotisé.

  "Excuse moi Ben, tu dormais? On peut monter?

  "Mais... je croyais que tu pouvais pas me pifrer?...

  "Oui, mais là c'est important!"

  Orianne ne m'aimait pas. C'est immanquablement comme ça qu'elle m'accueillait au RADAR "Ah, voilà celui que j'aime pas". Je savais pas ce qui était le plus aberrant, de la voir elle au bas de chez moi, ou de revoir Achille, ou bien les deux ensemble. Sidéré, je lui ouvre. Enfin je lui dis qu'ils peuvent rentrer parce que la porte du couloir ne ferme pas.
 
  Une fois dans mon salon ils se roulent galoche sur galoche, au point que même moi, ça m'écoeure. Au bout d'un temps je lui demande si c'est pour ça qu'elle est venue chez moi, parce que si ils comptent baiser là, je vais pas attendre les préliminaires, je file me recoucher et puis qu'ils auront qu'à me taper sur l'épaule quand viendront les moments intéressants.

  Elle s'excuse mais finit par m'avouer que ben oui, c'est un peu pour ça qu'ils sont venus, ils ont pas trop d'endroit où héberger leur fol amour dans l'immédiat, et que moi, comme ma coloc était pas là ces jours, ça me gênerait peut-être pas de les dépanner une nuit ou deux. Pour m'émouvoir elle ponctue son adorable requête d'un petit bécot amoureux sur les lèvres brillantes d'Achille (il met du gloss ou quoi??). C'est tellement barjot que je lui dis "ok pour cette nuit déjà". Le seul truc qui m'inquiète c'est  qu'Orianne est mineure et que je risque de me retrouver accusé d'assistance à détournement de mineur, si jamais le délit existe. Ils se refont un petit bécot de couple tout mimi pour couronner leur succès. Lui n'a toujours pas prononcé un mot. Je sais même pas si il sait parler.

  En fait c'était pas encore dix heures du mat' et j'avais vraiment sommeil. Je me suis calé de nouveau sur mon lit, sous une couverture très moche en laissant comme consigne de me lever au plus tard à midi.

  Je rêvai d'Achille. Il parlait dans mon rêve, on marchait ensemble dans la rue et il me donnait son analyse de l'époque moderne, enfin plutôt des ethnies qui la peuplent.

  "Les Juifs sont des enculés qui gouvernent votre monde par le biais des médias, ce que vous appelez la culture, par le biais de moyens financiers sans précédent, et grâce à des sociétés secrètes.

  "Ah, que je fais.

  "Les Noirs pas cons et occidentalisés ont compris qu'il fallait correspondre à vos clichés et à vos codes, ils courent vites, mieux que vous, avec leur grosse queue ils séduisent facilement vos femmes, ça vous plaît pas trop. Les Noirs d'Afrique mettront au moins cent ans à prendre leur revanche sur la colonisation et le pillage du continent. A leur manière, ce sont des enculés aussi.

  "Ah, que je fais.

  "Les Chinois vous ont déjà niqués, ces enculés n'ont aucune conscience humaine et ils veulent la plus grosse part du gâteau qui reste encore à bouffer.

  "Ah, que je fais.

  "Les Russes sont finis, ces enculés. Comme les Ricains, eux ils en sont au baroud d'honneur des plus gros et enculés depuis la chute de l'empire romain.

 

  Je réponds plus, j'écoute.

  "Les Arabes sont la vraie puissance montante, quand ces enculés seront alliés avec les Chinois, vous allez la sentir passer.

  "Qui ça "vous"? Les Blancs? T'es blanc toi aussi!"

  C'est là que j'ai été tiré de cette brillante et éthylique expertise par les hurlements d'Orianne. Sûr, on la dépeçait vivante.

  Elle était face à moi, jupe relevée sur sa petite chatte blonde, cuisses sur celles d'Achille, le braquemard de l'un dans le cloaque de l'autre. Les cris étaient des râles de plaisir, mais bon dieu, l'outil du géant devait être une colonne d'acier agrémentée d'ergots ou de serres, parce qu'à chaque pénétration Orianne rejetait sa tête en arrière, la gorge gonflée, gueulant comme si on lui ramonait les tripes avec un tison. Jamais une meuf ne m'avait fait ce jeu-là. Achille la maintenait de ses bras de goliath en lui ceinturant les épaules et la poitrine, et l'empalait avec une telle force que je pensais qu'il allait la buter, qu'il le faisait obligatoirement exprès, et que cette gamine mineure allait crever chez moi d'un arrêt cardiaque avant même que l'engin du monstre n'en arrachât tous les viscères. Horrible et fascinant. Puis elle a jouit, il l'a enlevée de sa bite en la soulevant par le cou, et l'a posée par terre où elle s'est affalée, sonnée, et heureuse.

  La bite d'Achille avait en fait des proportions normales. Elle luisait de la mouille d'Orianne, tellement épaisse qu'on aurait crû sa queue recouverte de cire, et autant qu'un bougeoir centenaire, avec les linéaments et tout. Orianne se mit à ronfler.

  On a causé ensuite, avec Achille. Il savait tout sur tout. On a parlé musique, politique, littérature, poésie. Ce type connaissait absolument tous les auteurs, tous les livres, recueils, enfin tout ce que je connaissais, il le connaissait. Mais jamais moyen de comprendre s'il aimait ou non, il portait la science infuse, mais comme une encyclopédie, comme un ordinateur, sans une quelconque émotion. Un psychopathe.

  Il voulait rien boire, rien manger, rien fumer.

  Et puis il a enfin dit ce qu'il foutait là. Il cherchait une Sarah Connor dans le but de la tuer. j'ignorais où habitait "Sarah Connor". Il m'a remercié de l'avoir accueilli, et nous a quitté, Orianne et moi. Bien évidemment, elle s'est mise à chialer quand je lui ai raconté le départ du meilleur coup de son existence. Inconsolable. Jusqu'à l'épisode "Sarah Connor". Là elle est devenue rouge de haine et a hurlé: "Quoi?!! Je vais la trouver cette pute! J'vais la défoncer c'te chienne, elle va crever!". Et elle s'est barrée, furieuse et bien décidée. J'avais même pas eu le temps de lui préciser que lui aussi il voulait la buter, qu'il ne fallait pas être jalouse comme ça. De toutes façons, elle m'aurait pas crû.

  Voilà comment "Sarah Connor" s'est retrouvée avec deux tueurs à ses trousses.
 

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26 janvier 2011 3 26 /01 /janvier /2011 12:36

 

  Une heure au purgatoire

  Ils ont changé l'Anpe d'endroit. Fini l'agence douillette du centre-ville, désormais pour répondre aux inlassables convocations il faut se rendre dans  une zone commerciale. Près d'une heure en bus. Pas un panneau d'indication une fois arrivé dans le secteur. Au petit bonheur la chance. Aller-retour, le tout prend trois heures, pratique pour décourager les chômeurs, et donc les faire sortir des infamantes statistiques. Prévoir la demi-journée. Emmenez un en-cas et de la lecture: ils devraient écrire ça sur le courrier. Heureusement, je connais le coup, j'ai pris les Contes de Buk, il m'en reste deux ou trois à finir.

  Ma conseillère aussi a changé. Pourquoi? Ma bonne grosse Frédérique s'est suicidée? A pondu un miard pour se soustraire à son travail? Elle ne m'aime plus? Peu importe, je ne suis pas plus angoissé que ça: j'ai toujours eu de la chance avec cette race-là. Avec mon grand sourire et mes bonnes manières, j'arrive bien à les embobiner. Avec Fred on était même parvenu à un super terrain d'entente: elle ne m'appelait jamais, ne me convoquait jamais, et tous les trois mois je recevais une lettre me faisant le résumé de l'entretien auquel elle ne m'avait pas forcé à assister. Le panard, un privilégié je vous dis. On doit sentir que je suis perdu pour la société, et trop cabochard pour faire les efforts nécessaires à ma "réinsertion". On me file le rmi-rsa, je cherche pas de boulot, j'écris mes poèmes débiles tous les jours en rêvant à d'improbables publications; pendant ce temps je fais pas cramer de voitures, je deal pas de drogue, je pique le boulot d'aucun gentil père de famille, et ma conseillère s'occupe des gens qui attendent vraiment une aide de l'Anpe. Tout le monde est content.

  "Nous vous accueillons avec le respect qui vous est dû, nous attendons de vous le respect qui nous est dû". Tout ça est très sain. Mais c'est vrai que j'ai jamais eu à me plaindre. Arrivé devant l'accueil, je me sers un verre d'eau à la fontaine, c'est bien l'eau, à neuf heures du mat' je vais pas commencer au vin. C'est vrai qu'on est bien accueilli dans ce vivarium en chantier.

  La grosse moche de l'accueil qui farfouille dans son nécessaire rose fuchsia constate que je ne suis pas inscrit sur la feuille de rendez-vous; elle baragouine à part elle un truc du genre "XXX a encore pris un rendez-vous sans le marquer sur son agenda". Ca commence bien, ma nouvelle est une je-m'en foutiste, ou une bordélique, on devrait bien s'entendre.

  Alors oui, je vais prendre place dans la salle d'attente, au milieu des autres paumés sans espoir. Je rejoins Buk.

  Quand je vois passer un employé (la plupart du temps une employée), je lève les yeux pour me faire une idée. La première est une petite sèche avec une grosse tête blonde, elle a l'air gentil, je la prendrais bien, comme référente. Ensuite, une très jolie brune bien accoutrée, style active woman; j'en voudrais pas: habituée au jeu de charme de la gent masculine, elle doit pas être facile à séduire, surtout dans le cadre de son travail, donc méfiance. Quelques laides viennent, dont une au visage fermé, draconique. Et puis l'épingle à grosse tête revient chercher un autre damné. Putain! que fout ma conseillère? Trente minutes que je poireaute. Heureusement que j'ai Buk. Je finis la dernière nouvelle: la bombe à hydrogène vient d'exploser San Francisco. Je repense au ciel de San Francisco que je connais un peu, c'est vrai que ça ferait joli une Apocalypse atomique là-bas. Bon, du coup j'ai plus rien à fiche que de compter les minutes et observer. Observer l'autre brune pas vilaine, en face de moi, qui compulse ses papiers, elle doit prendre la chose au sérieux, elle. Y'a aussi ce grand écran plat qui crachote les conseils dispensés aux chômeurs, guide de survie puérile dans un monde surpeuplé. Cet écran plat est peut-être là pour nous rappeler les délices promises aux travailleurs qui se bougent le cul. BZZ BZZ BZZ...

  Enfin, j'entends mon nom expiré de façon à peine audible. Tiens, j'ai hérité du dragon. Elle disparait déjà, sans une poignée de main et sans un regard. Je perçois tout juste le clic cloc bon marché de ses bottines vulgaires. Bien. Dans son antre, déjà assise elle lâche un truc: "(inaudible), asseyez-vous". Je demande de répéter.

  "Asseyez-vous".

  Je ne saurai jamais ce qu'elle a dit en préambule.

  Ok, je m'assieds.

  Petit visage, petits traits, minuscule bouche d'où ne doivent s'écouler que de minces filets perfides. Elle a quelque chose de la mort. Ca se sent ces choses-là, je souhaite me tromper.

  "Vous avez amené votre CV?"

  Je lui tends. Elle le lit à voix haute comme pour m'infliger le résumé de ma propre existence. Que des machins artistiques, j'y ai même pas mis mes années comme vendeur de musique, normal, je veux plus faire ça. Théâtre, théâtre, animation théâtre, lecture de textes à la radio (internet), et tenue d'un blog littéraire. Rien que du très sérieux quoi.

  "Bon, mais quelles sont vos démarches actuelles pour trouver un emploi?"

  "Je prépare des envois à des éditeurs."

  "Non mais que vous écriviez sur votre temps libre, c'est une chose, mais si vous êtes à l'Anpe, c'est que vous recherchez activement un travail."

  Ca tourne en eau de boudin, mais normal, elle fait son job, ingrat et aveugle, j'ai l'habitude. J'essaie de lui montrer que je suis pas tout à fait ahuri, que je sais parfaitement en quoi consiste son horrible boulot, et que je suis un cas à part. Pour finir je lui explique que c'était la grande question avec Fred, savoir si elle devait me laisser dans la catégorie des vendeurs en produit culturel (dénomination qui ne donne pas envie de vomir) ou si elle devait me passer dans celle des écrivains, sachant que même dans un rêve surréaliste, l'Anpe ne dégottait pas de publications chez les éditeurs, y compris les plus gentils.

  "Ecrivain, ça n'existe pas." Mensonge d'incompétente ou saillie poétique, je ne savais pas bien.

  "Puisque je n'existe pas et que vous devez me faire sortir des statistiques: radiez-moi."

  "Je ne vois pas dans quelle catégorie vous mettre."

  "Je ne vais pas non plus faire votre travail."

  Silence. Je décide de lui tendre une perche, parce que la détresse humaine ne me laisse pas insensible.

  "Vous n'avez qu'à me basculer à l'Anpe spectacle."

  "Vous n'êtes pas intermittent du spectacle."

  Bon, c'est dit, j'ai à faire avec une débile incapable qui ne connait rien à rien. Certains doivent avoir du mal à lui témoigner le "respect qui lui est dû".

  "Pas besoin d'avoir les cinquante-cinq cachets pour être à l'Anpe spectacle, sinon ça serait idiot!"

  "Si."

  "Non."

  "Bon, je vais voir avec ma direction."

  Oui, va apprendre ton métier grosse crétine psychorigide, il serait temps.Fais toi tirer au passage, tu reviendras moins bouchée.

  Elle disparait un si long moment que je peux apprendre par coeur tout son emploi du temps du jour, ouvert sur son bureau. Et les affichettes au mur: "J'éteins la lumière en sortant" et un truc sur le chauffage à ne pas maintenir en fonction la fenêtre ouverte, et à abaisser en sortant. Pas étonnant qu'ils en deviennent cons et aigris en étant infantilisés à ce point-là.

  Elle revient. Ca lui a pris encore un quart d'heure. Elle s'est peut-être vraiment faite trousser.

  "Bon je vais vous basculer sur l'Anpe spectacle" (sans blague!)

  Elle se met devant son pc et tapotte de méchantes choses sur son pauvre clavier.

  "Vous savez, ce n'est parce que des tas de gens font des boulots qu'ils n'aiment pas juste pour avoir le droit de vivre que tout le monde est contraint d'en faire autant."
 
  "Mais j'aime mon travail" qu'elle me fait! (Ben tiens, évidemment, qui ne s'épanouirait pas à vider un océan de mazout avec une petite cuillère en carton?).

  Résignée, vaincue, elle se résout à notifier dans ses cases inhumaines en quoi consistent mes activités. Elle me demande ce que j'ecris. Nouvelles, un roman en cours, des choses pour le théâtre et beaucoup de poésies (dont une sur toi bientôt, ne t'en fais pas ma radasse, tu as ta place dans mon pandémonium.). clic clic clic clic.

  Derrière la vitre des ouvriers trimballent de lourdes barres de fer, ils s'y mettent à cinq pour ça. Le contre maître file un beignet sur la casquette du plus jeune, aucun ne sourit, ils s'échinent dans les rafales glacées d'un vent à saper le moral d'un buffle. Moi je suis au chaud, vingt-quatre degrés sur l'écran digital fiché au mur, à apprendre à une ersatz de
fonctionnaire frigide qu'elle n'est pas qu'un périphérique de son pc.

  "Vous recevrez une convocation pour vous aidez dans vos démarches."

  Là je suis censé comprendre que je dois me lever et retourner à mon existence d'assisté, que j'ai gagné un peu de tranquillité et le droit de continuer d'impacter à la baisse le taux de croissance de mon pays. Sans autre signe de sa part.

  Quand on reçoit quelqu'un avec plus de trente minutes de retard, il n'est pas désobligeant de s'en excuser. J'ai beaucoup de rendez-vous, m'aurait- elle rétorqué si j'avais prononcé ça à voix haute au lieu de simplement le penser très fort. Je suis très lâche parfois, et ceci me paraissait bien vain. A la place, je lui impose une poignée de main, main qu'elle effleure avec tout l'ostentatoire dégoût que je provoque en elle.

  On ressort souvent de ce dixième cercle de l'enfer avec un pénétrant sentiment d'humiliation qui nous pourrit les chairs. Mais je promène un sourire digne et bravache, histoire de donner du courage aux autres personnes qui vont se faire embrocher après moi.

  Le vent avignonais continue de matérialiser le combat inéxorable de l'homme à pied contre la société qui galope vers rien, indifférente, en ballottant les détritus sur le bord des routes. Je reprends le bus, à son arrêt il y a la brunette mimi de tantôt, avec ses papiers et sa recherche réelle. Elle me lance des oeillades avenantes; je m'en aperçois que bien après, pas la tête à ça.

  Sur le trajet retour on passe devant des tas de concessionnaires de voiture à onze mille neuf cent euros, du genre qu'on se payera pas grâce aux missions de dix jours que propose poussivement l'agence nationale pour l'emploi. On les voit depuis la vitre du bus: c'est un autre monde, une promesse violente qui, comme on dit, n'engage que ceux qui la croient.

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