1er signe de l'Apocalypse
Le printemps nous fonçait droit dessus comme un météore que personne aurait songé à esquiver. Pitis oiseaux, gambettes indécemment sorties de jupes très courtes, bonhommie alentour, bref, pour une fois dans l'année, les êtres humains avaient l'air heureux de vivre, ou faisaient bien semblant.
Vraiment, y'avait pas de quoi s'en faire: tout partout, promesses de joies. Même les boulangères étaient sympa.
Je revenais du sport (ouais!), mon adversaire m'avait mis une tannée, mais c'était pas grave, j'avais bien joué, bien couru, toutes les petites hormones pour lesquelles je pratique dansaient la gigue dans mon corps exalté par cet effort louable. Y'a même une girly châtain en bottines qui m'avait lancé un sourire gratis, prolongé et appétissant au point que je sais toujours pas pourquoi je l'ai pas prise en levrette devant l'arrêt du bus où ça s'est produit.
Sur mon passage les habituels Roumains essayèrent bien de me taper du pognon (oui, c'est sûr, en tenue complète, avec sac à raquettes dans le dos je fais un peu bourgeois, mais nom de dieu, est-ce qu'on va au tennis ou au jogging avec toute sa petite monnaie sur soi? je dis non, mais ça, eux, les Roumains et autres cloches, ils se posent pas la question), mais bon, ce jour-là, ils étaient bien guillerets aussi les Roumains, que je leur lâche des pièces ou non. J'en ai passé deux, trois, sur une vingtaine de mètres de trottoir.
Croisement de la Poste et de la rue de la République, je tourne et face à moi un type gnomesque avec une veste en jean (ça se fait encore ça?), tout maigre avec le mal inscrit sur sa gueule, et l'air pas tranquille. Les jambes arquées, respiration coupée, on aurait dit un cow-boy halluciné prêt à shooter tout le monde dans la rue. Il essaye de farfouiller dans mon âme avec sa tronche de démon aux pouvoirs diaboliques, et puis comme je sais bien faire une sale tête moi aussi, il se braque nerveusement sur un autre passant. Ouf. Je continue ma route au pays de Candy.
Je suis rentré chez moi, normalement, faire des trucs humains: manger, boire, écrire, péter, se branler, etc etc. Je me doutais de rien.
Le lendemain, re sport (je suis l'alcoolo le plus sportif de la planète, ne vous en déplaise). Temps aussi magnifique, pas un brin de vent (ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille: Avignon + pas de vent = truc louche). Re retour des terrains, re passage devant la Poste etc. J'avais l'impression que les Roumains étaient un peu plus nombreux que la veille. En tous cas, si ils récoltent de la thune en proportion de leur masse salariale présente dans nos rues, dans six mois la Roumanie sera un Eldorado, et Bucarest la New-York du 21è siècle. Pas de doute là-dessus.
"Non, j'ai pas un brouzouf, je reviens du sport! (GRRR)".
Bizarrement je les trouvais moins avenants. Plus froids, moins cools.
Au même croisement j'angoisse un peu de me retrouver de nouveau nez à nez avec le psychopathe tout en jean d'hier, mais non, coup de bol. Par contre je passe entre deux manchards tout pouilleux, l'un contre le bâtiment, l'autre au bord de la route, de sorte qu'ils me flanquent de gauche et de droite, presque impossible de leur échapper. Insensible à leur malheur, je trace. Celui de droite, au bord de la route, avait la face toute vérolée et rubiconde, mais pas par la bibine, ça ressemblait plutôt à des piqures d'insectes, des chenilles urticantes ou des araignées, enfin un truc dégueulasse.
Devant la boulangerie où je m'arrête habituellement prendre du pain, ils sont quatre, un qui vend un de ces journaux "gratuits", un fiché dans le sol, entre une couverture vermoulue et un chapeau mou, une jeune avec un chien pas commode et le dernier scotché à la porte de la boulangerie, genre garde de Buckingham Palace, en moins impassible et qui mate tous les clients/nourriture prêt à se jeter dessus en bavant comme un clébard qui a la rage (une rage de faim). Ils se causent même pas entre eux, on dirait qu'ils se connaissent pas et qu'ils ont été lâchés là tout à fait par hasard, par quatre soucoupes volantes successives. Y'a pas, c'est un peu oppressant. On se sent bien coupable en sortant de là notre baguette sous le bras. Je me carapate dans mon domicile. La journée défile sans encombre notable.
Au jour III j'avais plus rien dans le frigo, plus rien dans les placards. Cette situation n'étant pas tolérable (même plus de bouteilles!), je devais prendre les choses en main et creuser un peu plus mon découvert autorisé (bénédiction bancaire) au Carrefour City du coin. Toujours pas un souffle de mistral dehors, rien, une météo de Paradis stagnait sur Avignon, comme si Avignon avait été délocalisé 300 km plus loin. Dingue, mais savoureux.
Sur la place au bout de ma rue tout une tribu de clodos et de gueux en tous genres faisaient leur office, courant après leurs chiens, invectivant quelques croquants, des bonnes gens qui essayaient quand même de pas marcher trop près de leur groupe. Ils étaient une grosse dizaine (peut-être plus!) façon cohorte de mercenaires à l'arrêt, de bandits mutants de grands chemins. Ils ne riaient pas. Un univers dans l'univers, mais le plus petit des deux se répandait sur le premier, le contaminait. A plusieurs pas on voyait des puces grosses comme des mouches sauter de l'un à l'autre zonard.
Avant d'arriver à Carrefour City, j'en croise au moins cinq séries, des binômes, des trinômes, et à chaque fois cette bizarre sensation que ces gus-là ne se parlent pas, sont étrangers l'un à l'autre, les uns aux autres. Les mendiants et autres paumés des villes sont généralement moches, poussiéreux, puant la pisse et la vinasse, mais ceux-là c'était autre chose. Leurs yeux étaient un peu rouges, leur peau bouffie et bouffée par un mal rubescent inexplicable et ils paraissaient irrigués par une haine livide, aveugle et puissante. Mais tout ça était sûrement dans ma tête.
Quoique. Le colossal vigile du supermarché, avec son 90D de muscles et son tee-shirt style emballage cellophane chouffait dans toutes les directions à la fois, absorbé et alerte, comme en apnée, en haut de l'escalator, prêt à repousser la possible invasion des sept ou huit cramés-clochards qui grouillaient devant l'entrée. J'avais crû reconnaître le mec en jean, de dos, au milieu du tas, mais pas sûr, et il avait filé.
A l'intérieur du Carrouf, les petites vieilles ne levaient pas le nez du fond de leur caddie, speedées comme des fourmis, et ne se séparaient jamais de leurs formations de deux ou trois individus. A peine plus exagéré que d'ordinaire, mais là, ça semblait justifié. Les autres clients, jeunes ou quadras-quincas, s'adonnaient à leurs courses normalement.
A mon arrivée en caisse, une rumeur descend depuis l'escalator. Du grabuge. On se jette quelques regards, clients et caissières (les vieux bronchent pas), mais personne dit vraiment rien, comme si ON pouvait nous entendre.
Juste quand je vais prendre mon dernier sac, un type sérieux en lunettes, genre cadre bien payé lance (mais pas trop fort):
"Ah, y font chier tous ces Roumains! C'est bien l'Europe!"
Ca aurait dû initier un débat, ou attirer de fins commentaires sur la situation politique de notre beau continent, mais là, non: silence lourd.
Le bordel parut augmenter en intensité, quelques éclats de voix. En haut des marches (je prends jamais l'escalator, ça me donne l'impression inexplicable d'être mort, une sorte de paquet sur tapis roulant), je compris le motif du chahut. C'était juste une scène hyper banale. Les flics et le vigile chassaient les inopportuns de l'entrée. Seulement un peu plus tendu que d'ordinaire. En fait, d'habitude, les clodos et autres teufeurs piercés vêtus de lambeaux de l'armée râlent, récriminent, rouspètent devant l'iniquité du traitement qui leur est infligé. Mais pas là. Ils faisaient durer, à la manière d'une manifestation écolo, ou un truc dans le genre où les types estiment être dans leur bon droit. Rebelles, quoi, bravaches, mais sans piper mot; quand un flic leur touchait le bras pour les lever, ils brandissaient un regard malsain, avec leur face vérolée et cet air un peu absent, ça avait quelque chose de stressant. Même la police parlait peu, on entendait des fois par-ci par-là:
"Vous pouvez pas rester ici...", mais un peu timides.
La lie purulente de la société se décida enfin à bouger, mais très lentement, les uns après les autres, avec des gestes comme englués dans l'éther. Ils se dispersèrent, le groupe se disloqua (alors qu'ils se séparent pas en général!) mais en infligeant de nouveau leur regard glacé et gorgé de sourdes intentions.
Toujours pas de vent.
Sur le retour, je croisai encore l'ombre du mec en jean, dilué dans un attroupement d'autres va-nu-pieds, mais une fois de plus, c'était fugace, pas moyen quand je me trouvai à leur niveau d'être sûr que ce fût lui.
Au coin de ma rue, y'avait cette miséreuse bien touchante (parce que très vieille, la doyenne des crève-la-faim avignonnais) juchée sur son monceau de bouteilles en plastique (qu'en faisait-elle?) et ses ordures qui constituaient son bien, son trésor, son patrimoine. Quand on lui proposait de l'aider (elle dormait dans les pires endroits imaginables, presque dans son urine), elle se débrouillait, le moins aimablement possible de nous faire comprendre que notre commisération, notre charité, elle en avait rien à carrer; d'ailleurs jamais, jamais je l'avais vue tendre la main, elle croupissait dans sa dignité à elle depuis des années. Bref. A mon approche elle eut un mouvement de la face en ma direction, ses yeux me fixaient comme si j'étais le Démon déambulant, et elle, une exorciste sûre de sa force. A foutre les chocottes, n'avait été elle dont je connaissais le caractère pour le moins asocial et misanthrope...
Quand même, en la dépassant, j'étais quasi certain d'avoir vu de ses orbites gicler, puis couler, deux longs noirs serpents, tout fins, comme deux fils de pétrole visqueux. Je fis des efforts immenses pour par me retourner, pour pas vérifier si ses trucs me suivaient ou non.
Dans mon petit chez moi, tout allait bien, mon chat était strictement pareil à tous les jours. Mais j'avais du mal à penser à autre chose: les clodos, zonards, mendiants, traîne-patins de tous poils, ou bien c'était moi, ou bien ils se multipliaient! On en avait jamais autant vus dans la ville, et surtout chaque jour passant, ils semblaient pulluler un peu plus, comme si la misère rampante se reproduisait d'elle-même la nuit, par une sorte de parthénogenèse crasseuse et un peu miraculeuse. Ou bien ils venaient par wagons au petit matin, expulsés de je ne sais quelle ville alentour bien décidée à se débarrasser de sa vermine. Ils agissaient comme ça à Nice par exemple, où des camions allaient recracher les mendigots à plusieurs kilomètres, des fois y'en a un ou deux qui clamsaient sur le chemin du retour, exténués par la marche et déshydratés par le soleil... Technique d'épuration qui convenait bien aux commerçants et à leur clientèle. Bref, ici en tous cas, c'était apparemment pas la même histoire, vu qu'on les retrouvait bel et bien là au matin, à midi, l'après-midi et le soir.
Jour IV
Mon pote tennisman m'a laissé un message: le zef est tellement moribond que ça serait vraiment con de pas en profiter. Ok. Je passe ma tenue de super héro des courts de "quick" et c'est parti (putain ces fringues se dégueulassent à une vitesse pas possible, surtout à l'endroit des poches où on enfourne nos balles pour les services à venir, à croire que ces balles sont en agglomérat de saletés, roulées dans la boue).
Quasiment pas un bruit dehors, pas une voiture ne fuse sur le bitume de la rue de la Rép', à une centaine de mètres devant.
Le seul son que je perçois, c'est l'affreux "CROUING CROUING" d'un virtuose de la guitare. Ce gars doit savoir moins d'accords que moi et gratter ses cordes avec un ouvre-bouteille en métal rouillé, sinon je vois pas comment il fait pour sortir un machin aussi inaudible de son instrument de musique.
Pourtant il a l'air super pénétré de son art. Assis en tailleur sur le minuscule trottoir qui borde ma rue, ses longues filasses blondes recouvrant totalement son visage et sur ses épaules une liquette infâme et grise, on aurait dit Kurt Cobain himself, au concert Unplugged MTV. Un chouilla de talent en moins, quand même.
Quand je suis plus qu'à cinq pas, il pose sa guitare (enfin!) et sans remuer la gueule, chope et me tend une tasse où il doit espérer que je vais laisser une offrande. Le tout avec une telle majesté impérieuse de loqueteux qu'il semblait pas imaginable de dire non. Ca devait pas mal impressionner les gens ces manières-là, moi-même je me sentais obligé de réagir. Je sors la rengaine quotidienne:
"Je vais au sport là, j'ai pas de thune sur moi, désolé".
Le mec, il bronche pas, imperturbable avec son poing et sa tasse tendue, en un genre de black panther revendicateur et bien sinistre. Je dis rien, je passe.
"GrrrRRRmmmRRRMMMRrrrrrgmmmmmM..."
Si il veut grogner, qu'il grogne, ça me ferait même rire un peu. Et puis j'entends un mouvement super subit. Le temps de faire volte-face pour être bien sûr qu'il me sautait pas dans le dos, j'entends un gros:
"BAMCRAC"
Ce con venait de détruire sa guitare au sol! D'un coup, comme ça! Il était debout, les jambes arquées, avec le manche de son défunt instrument en mains, la caisse défoncée au sol à ses pieds. Putain! un névropathe!
Et il restait là, secoué par une respiration de monstre, avec les mugissements rauques et tout.
J'avais toujours pas pu apercevoir ses traits derrière la tignasse en rideau. Mais j'étais à peu près certain que deux trucs rougeoyaient sous l'écran de tifs sales, à l'exact endroit des orbites.
Même s'il n'engageait aucun pas dans ma direction, je trouvai plus sage d'accélérer le mien et de plus me retourner vers ce dangereux taré.
En fait, la rue de la République était pas du tout déserte, et plus j'en approchais, et plus je percevais de bruits de marche, et comme un bourdonnement guttural... Une fois au bon niveau, je vis qu'en effet divers groupements de quelques individus avaient envahi la chaussée. Ils étaient en réalité des légions! Tous se dirigeaient vers un endroit, à main gauche, mais qui me restait caché tant que je débouchais pas directement dans la rue. Y avait aussi une drôle d'odeur qui allait en s'amplifiant, genre exhalaison putride d'un monticule de rats crevés.
Ils étaient plus de cent ou deux cents! massés en rang bordélique de chaque côté de la Rép'! Tout ce qu'Avignon compte de rebut moisi, de SDF miteux, decharognard affamé et de soûlard matinal était là réunis, avant midi, rangés en deux armées chaotiques. Mais ils menaçaient pas ouvertement, ils hurlaient d'ailleurs pas, seule une sorte de hululement fantomatique s'échappait de la double meute.
Quelques gens normaux avançaient aussi dans la rue, mais un peu pétrifiés, à pas vraiment mesurés, sans quitter la masse puante des yeux (ça sentait le ramassis de pouilleux à des dizaines de mètres à la ronde).
A chaque passage d'un ou deux gars "normaux" la foule grouillante entonnait le même:
"HOUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUU..."
Quand moi aussi je dû les franchir:
"HOUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUU..."
Carrément, les fourches caudines. Mais la chose vraiment anormale, c'était leur visage! La chair rognée, comme brûlée par je ne sais quoi, et tous avaient la tronche trouée par deux détritus rouges ou verts, tout luisants, sûrement gluants et chlinguant la pourriture, à l'exact endroit des orifices dédiés aux yeux.
Mais enfin bon, ils attaquaient personne, juste ils nous fichaient la honte et bien la trouille aussi, avec leur face infernale.
Je suis quand même allé faire mon tennis, parce que c'est important pour la santé, et que ne pas se bouffer de mistral autant de jours consécutifs, c'est suffisamment rare pour en profiter pleinement.
Je menais 4/0, service à suivre. Imperdable. Et puis je me suis rappelé de ce que je venais de voir et de vivre: très étrange cette affaire. Ca me quittait plus, la horde de monstres avait peut-être retourné tout le centre-ville, allez savoir! Je pensais plus qu'à ça, j'avais la sensation que la pestilence arrivait jusque sur nos terrains, et m'englobait en un nuage toxique de déchets et d'urine en particules fines. Je me suis fait remonter 4/6, et j'ai perdu sans plus faire un seul jeu, ni deux échanges consécutifs valables.
Sans en comprendre la raison, j'osais même pas en parler à mon partenaire, qui lui, habitait à l'opposé du centre. Je dus craindre qu'il me prît pour un foutraque sans en tirer aucun bénéfice, vu qu'il m'aurait pas raccompagné à domicile.
Je rentrai chez moi avec une pétoche de tous les diables, le ventre noué, et une raquette directement en main, au cas où. Ces nouvelles raquettes en graphite et tungstène sont bien plus solides qu'un crâne, y'a qu'à voir les joueurs pro qui s'y reprennent à cinq ou six fois avant de les détruire au sol quand leur colère nécessite réparation. Si un Roumain, ou un chépaquoi, y compris un que je connais, me sautait dessus, je comptais la lui enfoncer droit dans la tempe, pour vérifier ma théorie sur la résistance de ces matériaux.
Des dizaines de gens fuyaient des remparts! Les mecs courraient comme dératés, les mères déguerpissaient en trainant avec vigueur leurs gamins en pleurs, et des vieux, à leur petit rythme, tentaient également de s'extraire de la zone de tout à l'heure. L'infection de puanteur purulente envahissait maintenant d'autres rues adjacentes à celle de la République et prenait à la gorge au point qu'on devait respirer dans ses vêtements qui ne tarderaient pas à être imprégnés de l'immondice, et bons à brûler.
c'était une véritable émeute de pourriture sur pattes, enragée comme des paysans de la Révolution, balais à chiottes brandis, enfants déformés et à deux têtes, geignards, à bouts de bras, les unijambistes cassaient des vitrines avec de grands coups secs de leurs prothèses, certains dégobillaient des boîtes de conserve de ravioli périmées, données par les épiceries sociales (ils gerbaient aussi les boîtes! pas uniquement le contenu!) et au milieu de ce tohu-bohu de tous les démons de l'enfer, c'était certain, des types "normaux" se faisaient exploser la gueule. Y aurait des morts, si c'était pas déjà le cas.
Pas fou et pas du tout héroïque, je contournai la bataille (aussi parce que pénétrer cette odeur était INIMAGINABLE) et rasai les murs pour rejoindre mon appartement, que j'espérais épargné par cette décharge de violence.
Cloîtré derrière ma porte (qui ferme très mal...), j'attendais que ça passe. Rien ne passait, les sirènes de police vagissaient dans toutes les rues et le chaos putrescent continuait certainement de s'étendre, de toutes façons, c'était hors de question pour moi de sortir. J'attendais.
Le soir aux infos locales, j'appris qu'ils allaient envoyer l'armée pour nettoyer tout le merdier. Le gouvernement prenait les choses en main, vu que le maire était tout à fait dépassé par l'ampleur du phénomène, autant qu'un gosse de trois ans face à un cabinet qui déborde soudain de toute ses déjections.
Ca a tiré à balles réelles pendant quelques heures, les hélicos vrombissaient au dessus des toits (ce qui déployait un peu plus à travers la ville l'arôme d'organes avariés qui s'infiltra alors jusque dans les conduits d'aération), camions de l'armée, chars d'assaut, rien ne fut laissé au hasard pour rendre la ville aux bonnes gens. Le massacre dura une bonne partie de la nuit, et au matin il fallut tout désinfecter avec des produits prévus pour les attaques bactério chimiques. Personne n'osa plus ensuite parler de cette histoire dans Avignon, bien que devant la plupart des boutiques ou bars furent installés des pédiluves afin qu'on se nettoyât les pieds aux agents chimiques. Motus. A part aux infos nationales où l'affaire fut très minorée: on raconta seulement que les égouts avaient bien débordé, tout ça dans un soulèvement de dizaines de SDF et de quelques familles pauvres émigrées d'Europe de l'Est qui furent dispersées au canon à eau.
Le vent recommença de souffler sur Avignon.